Image de Guillaume Bresson
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Guillaume Bresson

AUTOUR D'UNE ŒUVRE

La mort de Saphire de Nicolas Poussin

À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

La mort de Saphire, Nicolas Poussin, vers 1653 © Musée du Louvre, RMN – Grand Palais, Angèle Dequier

Comment réussir à raconter une histoire sans l’écriture ? C’est bien l’œuvre de Nicolas Poussin qui incarne la réponse à cette question du jeune étudiant, tout juste arrivé à Paris pour entreprendre ses études aux Beaux-Arts.
Marqué par le grand maître de la peinture classique durant son apprentissage, Guillaume Bresson, peintre, fréquenta quotidiennement le musée du Louvre pour aiguiser son œil à cette peinture silencieuse « qui raconte des histoires ». Sensible à la précision du dessin et aux compositions des tableaux du peintre, l’artiste s’inscrit dans cette recherche d’une peinture d’histoire centrée alors sur la violence urbaine et sociale contemporaine.

Nous nous retrouvons au musée du Louvre pour cet entretien. Quelle place a occupé ce grand musée dans votre apprentissage de l’art ? Et quel peintre a particulièrement attiré votre attention ?

Le Louvre était pour moi un refuge, j’y venais donc très souvent, pratiquement tous les jours. Et j’ai été particulièrement frappé par Nicolas Poussin. Quand j’ai voulu apprendre à dessiner, j’étais fasciné par le corps humain, ses tensions dans le mouvement, dans les muscles, et les drapés qui enveloppent les corps et accentuent encore les mouvements.

Je me suis donc exercé à dessiner, figure par figure, jusqu’au moment où j’ai compris qu’en disposant plusieurs figures ensemble, on pouvait créer des scènes qui racontent des histoires, à travers le mouvement des corps. L’œuvre de Nicolas Poussin incarnait véritablement pour moi l’idée de la peinture narrative, de la manière la plus radicale.

Parmi les œuvres de Nicolas Poussin, laquelle vous a marqué, dans cette idée de la peinture narrative ?

La Mort de Saphire est très caractéristique de cette idée, car c’est un tableau composé comme une frise, une frise installée dans un espace en perspective qui ressemble à une scène de théâtre. On est face à une scène de jugement : quelqu’un juge une femme et la condamne à mort. Pour moi, peu importait qui étaient ces personnes, je ne m’intéressais pas à cela. Je voyais simplement que l’action au premier plan était une condamnation, l’annonce d’une punition.

Que révèle la composition de ce tableau, selon vous ?

Le doigt de Saint Pierre, qui désigne Saphire en la condamnant, pointe aussi vers un groupe à l’arrière-plan qui représente l’antithèse de la condamnation, c’est-à-dire la charité, où l’on voit le même personnage faire l’aumône à une femme au sol. On se demande pourquoi Poussin a voulu représenter une scène de punition, et en même temps son contraire à l’arrière-plan. Cela nous pousse à réfléchir. En termes de structure picturale, en tant qu’idée de ce que l’on peut faire en articulant des groupes et des plans dans un espace en perspective, on peut raconter des histoires plus complexes qu’à l’écrit.

La mort de Saphire (détail), Nicolas Poussin, vers 1653 © Musée du Louvre, RMN – Grand Palais, Angèle Dequier

Vous évoquez souvent le lien entre composition picturale et langage. Pouvez-vous développer ?

J’aime cette relation à la frise parce que cette peinture ressemble à une phrase. Le langage en peinture s’exprime par les mouvements du corps, et en même temps dans la profondeur de la perspective du tableau. Cette profondeur permet d’articuler un ou plusieurs arrière-plans avec le premier plan, qui raconte l’histoire principale du tableau. Je trouve ça très intéressant qu’on puisse dire quelque chose au premier plan et l’inverse à l’arrière-plan, rendant le récit plus ambigu et intéressant.

Le mouvement des corps est un langage… Et que dire de l’expression des visages ?

Chaque personnage a pratiquement le même visage, comme s’ils portaient des masques. Chacun a son rôle, avec sa propre passion. Il y a cette idée assez radicale chez Poussin d’éliminer les détails réalistes, les particularités physiques des personnages, pour se concentrer sur l’émotion et sur le rôle qu’ils jouent.

En quoi cette approche picturale a-t-elle influencé votre propre pratique ?

L’œuvre de Nicolas Poussin est un exemple pour moi. Je travaille avec des modèles vivants que je fais poser ou bouger dans mon atelier, puis je les prends en photo, je les découpe pour recomposer cette sorte de narration silencieuse. Sa peinture est aussi un exemple pour moi dans la manière de représenter la violence, car elle est contenue. J’aime cette idée de montrer une forme de violence étouffée, presque froide.

Comment abordez-vous la violence dans votre peinture ?

Dans mes tableaux, il n’y a pas d’expressionnisme. Il n’y a pas de grand coup de pinceau pour suggérer le mouvement ou la violence, ce sont des poses figées dans le temps. J’ai trouvé intéressant le contraste entre ce qui se passe dans la scène et la manière plus neutre de la représenter en peinture, cela instaure une sorte de distance.

Sans-titre, Guillaume Bresson, 2020-2022, © Adagp, Paris

Pourquoi choisissez-vous la représentation de la violence ?

On se demande ce qu’est la violence. Qui est violent ? Sont-ce les personnes qui ont posé ? Est-ce que le tableau est violent ? Ou bien est-ce qu’il décharge la violence représentée dans la peinture ?

Pour moi, c’est aussi une manière de montrer que la violence d’une scène est en réalité quelque chose de général, c’est une atmosphère. Elle vient aussi du décor : l’atmosphère d’un parking souterrain, la claustrophobie, l’obscurité, les néons, les actions des personnages. Les éléments architecturaux, le décor, les actions des personnages, et les corps en mouvement s’articulent entre eux. Or, cette idée de la composition picturale me vient directement de ce que j’ai appris des tableaux de Poussin.

Visionnez ici l’interview de Guillaume Bresson

J’aime cette idée de montrer une forme de violence étouffée, presque froide.

Guillaume Bresson