Par Fanny Revault
Plasticienne, poétesse et figure emblématique du street art, Miss Tic déploie avec audace sa créativité sur les murs de Paris depuis 1985. Ses dessins, fait à l’aide de pochoir, dévoilent des femmes fatales accompagnées de phrases incisives mêlant humour, légèreté, et provocation. Empreinte de liberté et passionnée avant tout de poésie, elle joue et déjoue avec malice les mots et développe un univers poétique et pictural singulier. Rencontre avec une icône de l’art urbain.
Comment le mur s’est-il imposé à vous comme support artistique dans les années 1980 ?
L’idée ne m’est pas venue seule. Quand j’ai commencé en 1985, je me suis inspirée de ce que je voyais dans les rues parisiennes. Des étudiants des Beaux-Arts se mettaient à peindre des murs, des palissades, des décors urbains… À l’époque, il y a avait déjà les VLP « Vive La Peinture », l’École des Affiches, Beau Geste qui détournaient des affiches publicitaires… Il y avait déjà un mouvement naissant. C’est à ce moment que j’ai décidé d’intervenir.
J’ai également assisté, quelques années auparavant, à la naissance du Hip-hop aux États-Unis, et donc des graffs. Ce melting pot m’a parlé et c’est à ce moment que j’ai décidé d’intervenir car auparavant, je faisais du théâtre de rue.
Pourquoi avoir choisi la technique du pochoir comme expression artistique ?
J’ai choisi la technique du pochoir car c’est un moyen d’impression rapide et efficace qui permettait de multiplier les images et les textes dans la ville de façon répétitive.
Vous associez toujours aux images des textes. D’où vient cette idée d’accompagner vos images d’aphorismes ?
J’ai décidé d’accompagner mes images avec du texte, des citations, parce que tous les artistes ne s’exprimaient que par des images. C’était une façon d’apporter de l’originalité, mais j’ai surtout une passion pour la poésie et la littérature. Il s’agissait de donner à voir autre chose que simplement des images.
Amoureuse des mots, quels sont les poètes qui vous ont inspiré ?
Beaucoup plus jeune, j’ai été très influencée par les surréalistes et puis par les contemporains. Mais l’amour de l’écriture me vient vraiment de la petite enfance.
Vos images sont des femmes brunes séductrices assez stéréotypées. Qui est cette femme fatale ?
Quand j’ai commencé à mettre du texte et des images, il était très difficile d’illustrer avec l’image du texte et inversement. J’ai donc décidé de trouver un porte-parole pour reporter mes citations. Au début, je suis partie sur des autoportraits que j’ai vite abandonnés et me suis inspirée des images de femmes que l’on nous donne à voir dans les médias, la publicité, la mode … J’ai décidé que cette égérie, la femme d’aujourd’hui, porterait ma parole.
Une parole qui véhicule avant tout l’idée de liberté…
Oui, c’est pour cela que mon travail ne s’adresse pas uniquement aux femmes. Il s’adresse à tout le monde, même aux animaux !
Vous laissez peu de place à l’homme dans vos créations. Pourquoi ?
De temps en temps, il y a des hommes et des couples. Mais c’est vrai qu’il n’a pas le premier rôle. En peinture, généralement, même les peintres de genre masculin ont souvent peint des femmes. C’est un peu une tradition dans la peinture.
On vous qualifie souvent de féministe…
Oui, sauf que c’est un peu réducteur. Je ne suis pas seulement féministe, je suis aussi anarchiste, hédoniste… Je suis pleine de « iste ». Et si j’ai quelque chose à rajouter sur le féminisme, je dirais que je suis même pire que féministe…
Exposer dans la rue, est-ce l’envie, dès vos débuts, de rendre l’art accessible à tous ?
Je venais déjà d’un mouvement qui s’appelait « le théâtre dans la rue » et qui a fait plein de petits. Aujourd’hui, il existe beaucoup de festivals et de troupes. Je venais donc de cette génération dans les années 1970 qui jouait dans la rue pour le public de la rue. Il est vrai que j’ai toujours été attirée par les arts populaires et par ce contact direct avec le public, plutôt que d’attendre qu’il se dirige vers les salles de théâtre, voir maintenant dans les expositions et les galeries. C’est effectivement une façon de se rendre sur le terrain et de rendre la pratique plus activiste.
En marquant votre identité artistique sur les murs de Paris, exprimez-vous une volonté de vous inscrire dans la mémoire de cette ville ?
Oui, je l’ai souvent répété mais mon but relevait aussi de ce côté mégalomane qu’ont les artistes, avant tout pour survivre, de s’inscrire dans la mémoire de Paris…
Suite à une condamnation, vous demandez désormais l’autorisation avant d’intervenir. Qu’est-ce que cela à changé ?
Il est vrai que comme j’ai été condamné en 1999, j’ai été obligé de changer de stratégie si je voulais continuer à intervenir dans l’espace public. Depuis ce jour, j’ai des autorisations, mais c’est moi qui les demande. Quand j’interviens sur certains arrondissements, en réalité je fais du porte à porte.
La plupart du temps, les rez-de-chaussée des villes appartiennent aux commerçants. Je vais donc les voir pour demander l’autorisation d’intervenir, mais à condition que j’obtienne carte blanche. Il n’y a pas de commande. Je suis libre de peindre ce que je veux.
Comment viviez-vous cette activité illégale ? Était-ce une situation inconfortable ?
Au début, cela faisait aussi partie du jeu. J’ai commencé en 1985, la ville n’était alors pratiquement pas graffitée. Il y avait très peu de choses. Nous étions vraiment sur une terre vierge. Avant que les tags arrivent, vers 1989, les premières années, même la police se demandait ce que nous faisions et n’était pas très répressive. La répression est arrivée en même temps que les tags et de façon massive. Mais il est vrai qu’au début, nous étions peu inquiétés.
Comment votre œuvre a-t-elle évolué avec le temps ?
Les expositions et produits dérivés sont arrivés très vite. Six mois après ma première intervention dans la rue, ma première exposition était chez Agnès. B dans la Galerie du Jour. Agnès. B est très attentive aux arts émergents et jusqu’à aujourd’hui, cela nous a permis de nous montrer publiquement. Depuis, je n’ai pas cessé de faire des expositions et des produits dérivés.
Avez-vous un chef-d’œuvre favori ?
Un seul ? Je n’en ai pas un en particulier qui me vienne… C’est plutôt l’œuvre d’un artiste en général qui fait sens pour moi, et pas une seule œuvre. Mais si je devais en citer un, proche du street art et qui est lié à la poésie, je dirais le Rimbaud d’Ernest Pignon-Ernest qui traversait les villes ; cette figure est très inspirante, notamment parce que cet artiste a su la moderniser. Il a une vision très juste…
Que signifie, pour vous, être artiste ?
Pour moi, être artiste, c’est une façon d’être au monde, de fonctionner dans celui-ci. Il est vrai qu’avec mon caractère et mon tempérament, j’ai eu beaucoup de mal à rester sous certaines autorités. C’est dans l’espace de la création artistique que je me sens la plus libre…