
Par Marwan Kahil
Un entretien riche en émotions au coeur du jardin et de l’atelier de Michèle Standjofski, un voyage poétique et séquentiel où les lignes de fuite ne sont qu’horizons à appréhender et à offrir pour qui sait comprendre, lire entre les lignes et contempler.
L’autrice et illustratrice, diplômée en lettres modernes et qui a oeuvré par le passé pour le quotidien L’Orient-Le-Jour et l’Orient Littéraire, dirige le pôle Illustration et Bande Dessinée de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts avec exigence et une ouverture sur le monde qui a permis de dévoiler au fil des années une myriade de talents, aujourd’hui actifs aux quatre coins du globe.
À l’heure où le proche-orient connait à nouveau des bouleversements, retour sur un parcours où prédominent un ancrage nomade, une espérance jamais teintée de naïveté et un regard toujours aussi juste sur les enjeux de notre humanité, plurielle et fraternelle. L’occasion d’évoquer autant les montagnes russes du passé que les promesses et les projets à venir, le tout sur les hauteurs qui surplombent Beyrouth, mère s’il en est, ville féconde, qui engendre des états d’âmes.
Un entretien qu’accompagne le reportage photographique signé Myriam Boulos / Magnum Photos.
Je me souviens de votre émotion en apprenant le prix reçu au Festival Pulp, initié à la Ferme du Buisson par Vincent Eches, aujourd’hui directeur de la Cité Internationale de la Bande Dessinée à Angoulême…
Oui, à l’époque j’avais été pressentie pour le prix Artemisia mais voir l’une de mes premières bandes dessinées récompensée lors de cet évènement, exigeant et plébiscité par l’ensemble de la profession a été pour moi une réelle reconnaissance. Aujourd’hui des journalistes évoquent le Liban, mon rôle en tant que femme, je préfère pour ma part évoquer les histoires que je souhaite raconter et mon travail, qu’il soit littéraire autant qu’artistique, c’est pourquoi ce prix compte, car il récompense d’abord et avant tout une histoire racontée, mon travail.

Justement entamons cet échange par la question du dessin. Pourquoi le dessin ?
Enfant, j’ai eu un grand-père que j’adorais et dont j’étais très proche, mon grand-père maternel, Mikhaïl. Nous communiquions de façon non-verbale, lui parlait très peu le français. Nous dessinions ensemble dans son atelier. À l’époque le dessin était davantage un refuge qu’un plaisir. J’aimais être seule, laisser mon esprit naviguer, de façon flottante. Le dessin a été associé à ce mode de vie, en atelier, au fait de s’exprimer librement sans être jugée. D’autant que j’avais une forme de timidité juvénile assumée.
D’ailleurs quand en milieu scolaire, j’ai été étiquetée comme celle qui dessine, qui savait dessiner, ça m’a bloquée. Il fallait que je dessine sous le regard des autres et en public alors que non… « Fichez-moi la paix !!! ». Pour moi, le dessin c’était plus intime, un moment où je pouvais me réfugier, seule et libre.
Y-a-t-il un souvenir en lien avec cet atelier qui vous marque encore ?
L’atelier de mon grand-père, qui était peintre, c’était ce refuge, l’endroit où je me sentais bien. Les crayons «toisons d’or», les gommes, tous ces outils qui n’existent plus, les odeurs de térébenthine, tout constitue une madeleine de Proust incroyable. Entre mes 11 et 12 ans, il m’a demandé de l’assister dans la restauration d’oeuvres d’art dont des icônes. Il devait restaurer un tableau de 8 mètres de haut. Il m’a appris à préparer les fonds, à nettoyer, à poser les couleurs. Et c’était un plaisir fou. La confiance qu’il m’a accordée est la meilleure preuve d’amour. Il me disait « Je sais que tu peux le faire.»
Et ces crayons «toisons d’or»…
Qui existent encore aujourd’hui. À la mort de mon grand-père, en pleine guerre, nous avions dû déménager ses affaires en catastrophe. Dans l’immeuble, il n’y avait plus que des miliciens. Des affaires ont été volé. Des bijoux dessinés pour ma grand-mère par mon grand-père, très art déco, ont été volé, d’autres affaires aussi. Les miliciens avaient mis la main sur plusieurs des affaires de mon grand-père pour prendre possession de l’étage. J’ai réussi à sauver la boite à dessin de mon grand-père en la prenant littéralement des mains même d’un des miliciens. Pendant des années, je ne l’ai jamais ouverte… jusqu’en 1997. Je l’ouvre. Et il y avait les odeurs, les parfums. Les crayons «toisons d’or», les plumes… plumes qu’il m’arrive d’offrir parfois à mes étudiant-es. La boite a fini par disparaitre, partie en morceaux. Je l’ai utilisé pendant quatre à cinq ans.

Quelle est la place de votre atelier actuel dans ce monde nomade où le numérique permet aux auteurs et autrices d’être dans leur atelier virtuel un peu partout ?
J’ai des idées constamment et en effet un peu partout, je les note, oui, sur les écrans. Beyrouth est tellement inspirante que mon atelier est en effet un peu partout. Mais au delà des écrans, c’est mon carnet de croquis qui a la primauté, par exemple, je le garde sur moi, dans mon sac pour ne jamais m’empêcher de noter un début d’idée ou dessiner un début de storyboard mais étrangement et finalement je ne l’utilise principalement qu’en voyage.
Mais pour en revenir à l’Atelier, cette fois-ci en tant qu’espace, je dois l’admettre, il est un lieu de création qui est pour moi très important. Ma fille évoquait ce matin avec son frère que j’avais la «politique de la porte ouverte». Mon atelier a toujours été ouvert, je n’ai jamais cessé de travailler, jusqu’à la veille et aux lendemains de mes accouchements. Par la suite, je gardais un espace pour mes enfants et poursuivait le travail. Ça a complètement conditionné mon métier d’illustratrice.
Un repère pour la jeune mère que vous étiez ?
C’était viscéral pour moi, d’être mère et illustratrice. Il n’y a aucun sacrifice, je préfère sacrifier deux ou trois projets de bouquins que manquer ces moments de vie. L’atelier est ouvert et fait partie à part entière de la maison. L’atelier est une matrice créative et un lieu de vie. Maintenant que les enfants ont grandi, c’est vrai que je ferme un peu plus la porte quand je le souhaite mais l’atelier reste ce refuge ouvert aux autres.
Comment créer durant les conflits qui ont jalonné votre vie et votre ville, Beyrouth ?
Nous n’avons jamais arrêté de vivre. Je l’évoquais il y a peu avec Charles Berberian. La guerre dite civile du Liban a débuté quand j’avais 14 ans. Et j’ai commencé à avoir des commandes à partir de 17 ans. La guerre aurait duré un an ou deux ans, ça aurait été une parenthèse. Or ce sont «des» guerres au pluriel qui ont traversé le Liban et cette région de part en part. Et, aussi dures soient-elles, si elles rendent évidemment la vie moins facile, étrangement, elles la rendent aussi bien plus intense. Cela est dû à l’omniprésence d’une forme de menace et de la mort peut-être que la vie contredit à chaque instant. Car la guerre finit par n’être qu’un arrière-plan. Et même si elle perdure encore jusqu’à aujourd’hui, il ne faut jamais cesser de vivre. Il y a eu bien sûr des moments où il était impossible de sortir, contraints d’être dans les couloirs ou les abris.
Ce qui était pénible en réalité pour nous, les artistes, les dessinateurs et illustrateurs, c’est qu’on nous reprochait de ne pas parler de la guerre ou au contraire de ne parler que de ça. Quand on en parlait pas, on nous reprochait de ne pas traiter de notre réalité et si on finissait par le faire on nous reprochait de ne pas avoir d’autres sujets à traiter. C’est un sujet bateau et malheureusement attendu et où l’artiste est attendu-e. Or je ne suis ni humanitaire, ni journaliste, ni une experte pour en traiter. En revanche, la vie, je la vis, et donc je la raconte, la ville, je la vis, je la raconte et la guerre si j’en ressens le besoin, je la raconte. Mais elle n’a pas à avoir le premier rôle. Il faut puiser ailleurs. Aujourd’hui, le monde comprend ce que c’est que de ne pas avoir droit à une paix durable.
Quelle a été la genèse de Toutes les mers, ce roman graphique récompensé que j’évoquais en début d’entretien ?
Un projet d’exposition Partir ou Rester au festival d’Aix-en-Provence, aux archives départementales, au sein d’une résidence croisée avec Zeina Abirached qui devait raconter son vécu en trente planches évoquant son expérience de libanaise vivant en France et où je devais, pour ma part, raconter mon vécu en n’étant pas d’origine libanaise mais ayant choisi de rester au Liban. C’est un projet que je voulais réaliser depuis longtemps et l’opportunité s’est présentée. Il était évident que j’allais remonter dans les méandres personnels. Je m’en empêchais de crainte d’exhumer des secrets familiaux mais en réalité mes craintes étaient infondées. Ça a été l’occasion de le faire. Il y a un côté impudique, or la femme pudique que je suis ne l’aurait peut-être jamais écrit de cette manière sans cette opportunité.
Écrire c’est trahir, est-ce que la disparition de votre père a donné l’autorisation, a été le déclencheur aussi pour cet ouvrage ?
Aucune trahison. Davantage un hommage en restant juste.

Quel souvenir gardez-vous de vos débuts dans l’illustration et la bande dessinée ? Quelles rencontres marquantes ? Quelles lectures ?
J’ai eu très tôt des commandes mais c’est surtout l’enseignement qui a été une révélation. J’ai eu un cursus d’abord en lettres modernes. Le dessin était là, mais il n’avait pas d’impact dans mon ouverture à l’autre. C’est l’enseignement en revanche, en littérature française qui a été un révélateur. C’est par l’enseignement que le dessin a pu enfin s’exprimer aussi et devenir un outil de transmission et de partage.
D’autant qu’à treize ans, j’avais été hospitalisé durant deux mois. Je recevais des romans à l’eau de rose, immondes, mon père les récupérait, les échangeait à la librairie et prenait à la place des bandes dessinées. Le médecin a demandé à mon père de ne plus m’en apporter, car je riais tellement que je ne cicatrisais pas.
La révélation qui a pu relier dessin et littérature, désir de narration ça a été le mensuel (À Suivre) publié par les éditions Casterman, j’étais en première année à l’université. Un ami m’a apporté le numéro 0 de France. Quand j’ai vu que ça pouvait exister, ça a été un choc. Se dire qu’il était possible de faire ça, de faire de la littérature dessinée, du noir et blanc avec des aplats et des contrastes monstres… Le choc face à Tardi, Comès et Pratt. Ce choc a été immense, davantage que celui rencontré face à Druillet, Forest qui auraient pu me marquer tout autant si je les avais découvert dans Métal Hurlant. Ensuite j’ai pu poursuivre mes études de lettres et mon mémoire de diplôme a porté sur la bande dessinée.
Ce dessin séquentiel qui permet de raconter est une révélation ?
C’est ce que je fais et ce que j’aime faire. J’aime raconter des histoires et trouver des mécanismes pour les transmettre. À la base, je suis une personne rationnel mais qui reste organique et qui ne prémédite pas. J’aime savoir où je vais, avoir les grandes lignes, d’un scénario par exemple, mais ensuite je m’autorise à aller plus loin et à laisser libre cours aux idées sans ordre préétabli. De ces fulgurances et ces envies sans barrières, je découvre des pistes de recherches, puis je restructure, je réorganise.
C’est comme un voyage. J’ai un cap, puis doucement je navigue au fil de l’eau. Et je vais être à l’écoute de mon dessin. Il y a une planche dans Toutes les mers où en dessinant, j’ai opté pour des plans plus resserrés, resserrant le cadrage. À la mise en couleur, j’ai constaté que je pouvais même retirer des traits. Les personnages créaient des territoires en eux-mêmes, ils devenaient une cartographie, les contours ressemblaient à une carte. Et ça a donné tellement de sens à l’Histoire, le concept a été rehaussé et révélé pour moi dans cette planche.
Il faut savoir aller à la dérive mais c’est quelque chose en réalité de très précis dans le processus créatif pour peu qu’on réussisse intellectuellement à créer du lien, à trouver du sens. Il est possible de dériver, avec de nouvelles de pistes, ce côté flottant de l’attention, c’est ce que j’aime tout en sachant m’arrêter. Une exploration, un voyage avec une réelle organisation et une réelle préparation mais à condition de savoir se perdre.
Une dérive tout en maîtrise qui s’autorise à hisser la voile et laisser le vent vous porter ? Ce jargon maritime, lié au voyage est intéressant…
Mon dessin est mon dessin. Il est suffisamment bon pour me permettre de raconter ce que je souhaite raconter. Les meilleurs techniciens, les virtuoses au final dans le 9ème Art, s’il ne savent pas raconter, demeurent de grands artistes mais ne sont pas les plus grands auteurs. Ce n’est pas la virtuosité qui donne le charme ou la grâce, ou les bonnes histoires.

Quel est le rôle de la documentation, de la photographie dans vos recherches ?
Un rôle essentiel. Surtout sur des projets aussi denses que les projets d’écriture où j’évoque les origines familiales. Il s’agit de les dispatcher dans différents dossiers en amont de la création et puis je les laisse décanter avant de revenir dessus. Chaque photographie à sa manière peut dévoiler un univers.
En ce sens diriez-vous que la composition et la mise en scène priment dans le neuvième art ?
La bande dessinée est assurément un art de la mise en scène, du rythme et des silences. C’est d’ailleurs sur cet aspect que j’insiste auprès de mes étudiants et étudiantes. Le style est le style, mais ce qui compte c’est de transporter l’oeil du lecteur-spectateur. Une planche est une entité en elle-même au-delà de la simple case. Et il est possible d’étirer un concept, une scène sur dix planches si nécessaire pourvu qu’on raconte quelque chose et qu’on sait le raconter.
Est-ce que les digressions fictionnelles dans vos récits documentaires ne dévoilent pas davantage le réel ?
La fiction dévoile le réel. Dans le cinéma et la littérature. Dans la fiction, en réalité on se dévoile davantage. Mais je n’aime pas les phrases toutes faites. Ce n’est jamais uniquement de la fiction, ce n’est jamais uniquement du documentaire. Il faut être honnête et assumer les choses, les mélanges qu’il est possible de s’autoriser… Il faut pouvoir les revendiquer. La fiction est un révélateur comme en photographie. Tout est une question d’honnêteté intellectuelle.
Comment concilier la transmission auprès des étudiants et le fait d’être également autrice ?
C’est une question intéressante. J’évite d’évoquer mon travail d’autrice aux étudiants. Je peux évoquer une méthode mais en leur rappelant que ce n’est pas une sacrosainte méthode, qu’il y en a d’autres. J’apprends des étudiants autant qu’ils et elles apprennent de moi. Lorsque je suis invitée à l’étranger lors d’un workshop, je n’hésite pas à évoquer mon travail, à montrer et analyser mes planches.
J’ai rencontré de nombreux artistes et auteurs, autrices, de toutes nationalités, tous et toutes, à l’évocation de Beyrouth, me racontent combien ils furent bien reçus à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts et combien le foisonnement artistique y était fécond…
Beyrouth est au croisement des mondes. Les auteurs et autrices qui y sont invités et interviennent aux ateliers de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts peuvent venir du Japon, des États-Unis et d’ailleurs. Je pense à Cosey qui a été d’une générosité incroyable, à Alfred qui a été incroyable autant que Charles Berberian.
Ma présence en festival ainsi que mes rencontres, les anciens étudiants et étudiantes, aujourd’hui actifs et actives dans les plus grandes revues internationales et chez les plus grands éditeurs, contribuent à ces échanges et ces rencontres et c’est en effet un foisonnement créatif et une richesse de partager autour du dessin, de l’animation, de l’illustration et du 9ème Art. Nous avons besoin d’avoir cet environnement, cet esprit aussi collectif au coeur de métiers parfois solitaires. Aujourd’hui en France et ailleurs, les auteurs et autrices se retrouvent dans des ateliers, partagent des espaces tout en ayant des projets très personnels. c’est vivifiant et nécessaire de se confronter à l’autre, d’échanger avec l’autre et de lui montrer, aussi, de quoi on est capable. Cela créé une émulation.
Je ressens qu’il existe une vraie communauté des auteurs et autrices, sans frontières. L’Académie Libanaise des Beaux-Arts joue quant à elle ce rôle de pépinière. Et, en son sein, j’aime initier de la saine verticalité entre étudiant-es, les étudiant-es en master transmettent et partagent auprès des étudiant-es en licence, et dans un aller-retour, apprennent aussi des étudiant-es plus jeunes. Tous et toutes vont à des expositions ensemble, travaillent ensemble. Cela permet la création de fanzines, de projets en commun. Cela permet de se soutenir, cette fois-ci, dans une horizontalité humaine, de s’entre-aider avec une réelle solidarité.

Des écrivains que vous admirez ?
Paul Auster, Patrick Modiano, Jean Echenoz.
Des auteurs, autrices de bande dessinée ?
Charles Berberian, Alfred, Posy Simmonds, Catherine Meurisse… Je pourrais en parler des heures.
Vos envies… vos projets…
Continuer à écrire et à dessiner. Avoir toujours cette fluidité entre le vécu et l’envie de dessiner. J’ai aussi hâte de dévoiler le prochain projet sur lequel je travaille.
Pour finir que dirait la petite fille que vous étiez dans l’atelier de son grand-père à Michèle Standjofski aujourd’hui ?
Qu’elle est toujours là, dans l’atelier.
— Michèle Standjofski est née à Beyrouth en 1960. Après un bac littéraire passé à Athènes, elle opte pour les lettres à Beyrouth. Elle présente un mémoire de maîtrise sur la place du texte dans la bande dessinée. Depuis 1977, elle travaille en tant qu’illustratrice pour la presse, la publicité et l’édition. Depuis 1992, elle enseigne la bande dessinée et l’illustration à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts. Elle a exposé à Angoulême, Beyrouth, Ravenne, Istanbul, Athènes, Sharjah et Aix-en-Provence. Elle vit à Beyrouth.
— Michèle Standjoski en cinq moments-clés :
Rencontre avec la maternité, les naissances de mes enfants, moments uniques, à chaque fois différents.
Mon hospitalisation à l’adolescence qui a été marquante.
L’année de lycée à Athènes, 18 mois qui m’ont profondément marqué avant de retourner à Beyrouth.
Mon rapport à la peur lorsque j’étais à la Croix-Rouge où je me sentais utile mais où le dossard de la croix-rouge en réalité ne nous protègeait pas, il n’a jamais été un gilet pare-balles. Il s’agit d’un sentiment complexe et paradoxal où la bienveillance à l’égard des autres est sincère mais aussi en réalité une manière de fuir sa propre peur et de se dire qu’on est plus utile sous les bombes que dans un abri ou derrière un mur. Ma mère en faisait des crises de nerfs lorsqu’elle me savait sur le terrain. Sentiment étrange où il y a un seuil à ne pas dépasser, à ne pas franchir sans quoi aucun retour n’est possible.
Un bombardement où j’ai protégé instinctivement ma fille, l’ai recouverte de mon corps. Ce moment est venu me libérer d’un moment que je pensais être un moment de honte et où je m’étais réfugiée, quelques années auparavant, derrière ma propre mère. J’ai compris qu’il était normal de chercher une telle protection et je n’ai plus jamais culpabilisé.
Reportage photographique : Myriam Boulos / Magnum Photos