
Par Harry Kampianne
Le ton est solaire parfois teinté de malice chez Marlène Mocquet, tout comme ses lutins et ses anges entourés de pommes d’amour que l’on découvre dans Longue vue, une intervention pérenne qu’elle a conçue, parallèlement à son exposition Différents parfois, libres toujours, sur l’un des plafonds de l’Hôtel Richer de Belleval à Montpellier. Un hommage qu’elle rend aussi aux fondateurs de la Fondation GGL (mécénat d’entreprise pour l’art contemporain) ouvert au public en juin 2021 et qu’elle immortalise à travers une série de bustes impériaux en céramique. Comment naissent ces contes aux allures gothiques et épicuriens, ses tableaux et sculptures montés comme des cornes d’abondance, et ce banquet gargantuesque, une installation alléchante dressée dans la dernière salle de son exposition ? Fée Marlène se met à table.
Pouvez-vous me résumer la genèse de cette exposition Différents parfois, libres toujours à L’Hôtel Richer de Belleval à Montpellier ?
C’est parti d’une exposition (Ascendance) au musée Joseph Déchelette (1862-1914) à Roanne bien que celle de Montpellier était déjà dans mes carnets tant au niveau de la conception et de la réalisation. Mais le musée s’était annoncé bien avant. Il s’agissait pour moi de rendre hommage à ma mère qui était mourante ainsi qu’à ma famille et des proches en les interviewant et en créant des salles comme le boudoir en référence à ma maman, la bibliothèque, le salon de détente, la salle à manger etc. Parallèlement à cette exposition j’avais déjà dans l’idée de rendre hommage aux fondateurs de ce lieu financier et créatif qu’est l’Hôtel Richer de Belleval.
Comment procédez-vous lorsqu’un projet d’exposition est confirmé ? Avez-vous déjà tous les éléments en tête ou fonctionnez-vous par étapes ?
C’est comme un film. Je vois mes peintures et mes expositions comme une grande fresque où le visiteur va devenir acteur. Même si elle est abstraite, j’ai déjà en tête l’ambiance et ce que je souhaite faire ressentir. Ensuite vient un story-board ou plutôt une simulation où les peintures et les sculptures ne sont pas encore présentes mais je sais déjà quelles pièces vont être exposées de façon à ce qu’elles puissent interagir de manière inconsciente ou non avec le visiteur. Par ce biais, j’ai envie de révéler la singularité de l’être. Suite à ce travail en amont, il y a un rétroplanning. Rien n’est laissé au hasard. Les supports sont choisis en fonction du lieu.
Votre travail sur la céramique est-il intervenu en même temps que la peinture ?
Non. La peinture était là avant la céramique. Lors de la remise de mon diplôme aux Beaux-arts, je me suis aperçu en installant mes tableaux à un mètre vingt du sol, ce qui est très bas presque au niveau de la taille d’un enfant, que le jury se baissait pour voir mon travail, le corps interagissait avec l’œuvre et du coup leur concentration devenait plus intense. Ce qui aurait été moins le cas je pense si le tableau avait été accroché au niveau de la taille d’un adulte. J’avais donc déjà en tête de mettre en condition le visiteur pour le faire réagir. Si l’on t’invite à regarder différemment une œuvre ou même un monument, le regard change.
Marlène Mocquet, LE CHEVAL AU BALLON NOIR – 2023 – 100 x 81cm, Technique mixte sur aluminium
Marlène Mocquet, SARAH ET LA CHOUETTE DU CHAI – 2023 – 100 x 81 cm, technique mixte sur aluminium © Pierre-Schwartz
Marlène Mocquet – atelier © Harry Kampianne



En résumé, vous ne souhaitez pas que le visiteur passe voir votre exposition en touriste ?
Exactement. Il doit s’aventurer et se perdre. Il faut un lâcher prise de sa part. C’est une manière de le guider sans le guider. Si son regard est passif, il devient touriste. Je lui propose seulement de se frayer son propre chemin, à ce moment-là je vais peut-être convoquer chez lui des émotions qu’il ne connaît pas.
Et la céramique, que vous a t-elle apporté de plus ?
La technique m’intéressait déjà lorsque j’étais aux Beaux-arts mais je n’avais pas le temps et les moyens de m’y consacrer. Une fois que j’ai commencé à gagner un peu d’argent avec ma peinture, notamment grâce à Thierry Raspail qui m’a donné la chance à 28 ans de pouvoir exposer dix ans de mon travail au musée d’art contemporain de Lyon, je me suis aperçu que ma peinture possédait un univers propice à la sculpture. La céramique m’a permis d’atteindre cette troisième dimension. J’ai donc acheté un four afin de me familiariser à cette nouvelle technique et j’ai également suivi une résidence d’artiste à la Manufacture de Sèvres. Ça été une très bonne école pour moi. Je ne fais pas de distinction entre ma peinture et mes sculptures. C’est un dialogue permanent. C’est mon monde.
Marlène Mocquet, THIERRY ET THE BEATLES – 2023 – Gré émaillé, lustre or et platine ©-Pierre Schwartz
Marlène Mocquet, ALAIN ET LA CHOUETTE DU CHAI – 2023 – Gré émaillé, lustre or et platine © Pierre Schwartz


Un monde que l’on pourrait assimiler à un conte gothique ?
Je n’ai pas vraiment de souvenirs de ce genre de lecture durant mon enfance, excepté Hansel et Gretel des frères Grimm. C’est un livre qui m’a complètement hanté. Sinon, je n’ai jamais été influencée par cette littérature. Je pense que je crée un univers enfantin et en même temps d’adulte. C’est le principe du conte avec ses côtés sombres et enchanteurs. C’est la bipolarité de la vie. La seule référence que j’ai, c’est mon vécu.
Quels sont vos projets d’exposition ?
Il y a avant tout Art Paris au Grand Palais Éphémère où je vais présenter une peinture et une sculpture. Ensuite j’exposerai à la galerie East dirigé par Steven Riff que j’aime beaucoup et qui se situe à Strasbourg, ce qui d’un point de vue géographique est très intéressant. Strasbourg, ça reste quelque part la capitale de l’Europe, ce qui me permet d’accéder à l’Allemagne, aux Pays-Bas, à la Suisse, à la Belgique, des zones que je ne connais pas. J’ai déjà présenté mon travail à New-York, pas suffisamment certes, chez Haunch of Venison qui a fermé depuis. Ensuite, je suis allé chez Laurent Gaudin pendant quatre ans avec de très belles expériences, mais qui à la fin n’étaient plus compatibles avec mes ambitions. Je pense qu’il ne faut pas qu’une galerie pour un artiste avec la capacité de production que je peux avoir. Il en faut plusieurs.
Comment arrivez-vous à concilier dans un même lieu tes travaux de sculpture et de peinture ?
J’ai surtout la chance d’avoir un très grand espace. L’entrée est réservée à la sculpture de façon à ce que la poussière parte à l’extérieur, et le cœur de l’atelier est consacré à la peinture. Chaque endroit a sa place.
Travaillez-vous une pièce à la fois ou pouvez-vous la laisser en suspens et passer à une autre ?
Non. J’ai le sentiment quand je réussis une peinture ou une céramique qu’elle est vivante et qu’elle respire au-delà de l’avoir finie. Si je passe du coq à l’âne, ça ne marche pas. Je reste concentrée de manière à donner la quintessence de moi-même jusqu’à la réalisation complète de l’œuvre. Je ne suis pas pour la dispersion. C’est comme si je caricaturais mon travail en me disant – Tiens je peux passer de là à là – en étant juste dans la globalité. Pour moi une œuvre est autonome, elle possède sa propre énergie. À partir de ce principe, je ne peux pas avoir plusieurs amants (rires). Je reste fidèle jusqu’à temps que l’histoire se termine. Ma peinture est grouillante. Je mélange plein de techniques et je peux avoir des surprises entre le moment d’appliquer le pinceau sur la toile et celui du séchage. Tu as des zones d’inattendues ou d’accidents, sans rechercher pour autant l’accident, mais tu rebondis, tu vas vers une zone d’inconfort. Ça va permettre de canaliser ta force et découvrir d’autres chemins, et surtout d’exploiter des énergies insoupçonnées.
Marlène Mocquet – Atelier © Françoise Séjourné
Marlène Mocquet – atelier © Harry Kampianne
Marlène Mocquet – atelier © Harry Kampianne.



Vous-êtes vous forgé une discipline dans votre planning, ou pouvez-vous travailler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, étant donné que votre lieu de résidence est au sein même de l’atelier ?
Je me suis imposée une discipline comme une vraie ouvrière. Je fais mes huit dix heures excepté dans les urgences d’une grande exposition ou retards imprévus, il m’arrive dans ce cas de finir vers deux heures du matin. De plus, j’ai un enfant à qui je veux accorder du temps. Travailler à n’importe quelle heure de la nuit sous le coup d’une envie soudaine, je trouve ça un peu douteux.
Comment ça douteux ?
Pour moi un travail doit être construit. Quand tu sais où tu vas, même si mes expositions sont très différentes les unes des autres, il y a une rigueur. Je ne peux pas me permettre de me disperser. La discipline est nécessaire lorsque tu construis une œuvre. Et puis, je ne supporte pas de travailler dans le bazar. Il me faut du rangement, de l’éclaircissement dans ma tête sinon je me noie. Le mot ouvrière n’est peut-être pas approprié, je dirais que je suis comme une sportive avec une réelle concentration. Sous mes airs rock&roll, je suis très rigoureuse. C’est un travail de fond. Pour moi, l’atelier est comme un corps. Je m’émancipe dans cette structure…comme un enfant, je m’impose un cadre.
Reproduisez-vous le cadre que vous avez eu enfant ?
Je n’ai pas eu vraiment de cadre. C’est pour ça que je suis libre et je remercie mes parents de m’avoir offert cette liberté. Mais si cette liberté n’est pas canalisée, ça peut devenir un véritable fiasco. Être artiste aujourd’hui, ce n’est pas naturel, c’est une faille que l’on doit exprimer et qu’on apporte à la société. Pour moi, les failles peuvent être révélatrices de vérités.
Mais l’artiste aujourd’hui peut-il apporter une réponse ?
Bien sûr. Je n’ai pas encore dit mon dernier mot.