Portrait de Manal Rachdi
Portrait de Manal Rachdi

Manal Rachdi

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Fasciné par la nature depuis son enfance passée au Maroc, Manal Rachdi a toujours cherché à l’étudier et à la comprendre ainsi que l’architecture ancienne observée durant sa jeunesse. Plus tard, il ne cessera de synthétiser ses deux passions : nature et culture. Dans ses créations, la végétation s’exprime pleinement et épouse ces structures magistrales aux formes organiques et rigoureuses. Beauté, poésie et partage des espaces s’allient avec l’impératif des exigences environnementales et écologiques. L’architecture de Manal Rachdi ouvre sur un art de vivre apaisant. Rencontre.

Comment êtes-vous arrivé à vous passionner pour l’architecture ?

J’ai toujours été fasciné par l’architecture qui m’entourait. Ayant vécu dans un pays séculaire où les architectures anciennes sont incroyablement bien pensées, j’ai très tôt été marqué par leurs détails et leur qualité. Mais la nature me passionnait aussi.

Dès l’âge de seize ans, l’architecture faisait partie des métiers qui me plaisait. Issu d’une famille scientifique de médecins et d’ingénieurs, mes parents n’ont pas compris ce choix et m’ont plutôt poussé vers des études de pharmacie dentaire. Cela m’a amené à étudier la biologie et la géologie, et ce fut l’étude de l’infiniment petit et l’infiniment grand. Finalement, je trouve que l’architecture est d’une certaine façon la synthèse des deux. L’infiniment petit reflète le fonctionnement du monde et l’infiniment grand renvoie à l’environnement, l’écologie, tout ce qui nous entoure. Dans ma production architecturale, j’essaie de faire cette synthèse entre à la fois l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Quels sont les principes essentiels qui régissent votre œuvre architecturale ?

Pour moi, il y a deux choses qui sont importantes, presque nécessaires lorsqu’on produit une architecture ; il faut penser à la fois à la poésie et la beauté des villes. L’architecture devient alors un réceptacle de lieux où on va vivre, travailler, habiter différemment, autour de ce médium qui est la nature. J’utilise la nature, non pas comme décoration, mais comme un élément qui va venir apporter à l’architecture une certaine rigueur, une protection, un rafraîchissement.

Je conçois des lieux de vie différents, nouveaux à l’intérieur de l’architecture elle-même ; sur le toit, dans des terrasses, dans des espaces collectifs comme on l’a fait pour Pixel où des grands patios permettent à la fois de créer des morceaux de nature et des lieux de vie commune. Aussi, des espaces sur la toiture comme le projet Cascade à Lille qui est une succession de jardins connectés entre eux permettant aux travailleurs de travailler en plein air et de s’approprier ces espaces extérieurs. Donc j’aime concevoir des lieux de vie, des lieux de partage pour les habitants.

Peut-on dire que la nature est au cœur de votre production architecturale ?

Oui dans mon travail, j’essaie de faire un lien entre l’architecture et la nature. J’imagine des espaces en contact permanent avec la nature et c’est cette architecture-là qui me passionne. C’est une architecture qui va venir se fondre dans une nature et devenir une sorte de montagne habitée, comme dans le projet d’Ecotone. Ces espaces deviennent un moment où l’architecture et la nature sont totalement intégrées et connectées et donnent des lieux où on se sent bien.
On a l’impression d’être plutôt dans un morceau de nature qu’on a ramené en ville ou intégré dans un tissu urbain dense. Et cette fraîcheur que peut ramener la nature, c’est un peu ça que j’essaie de chercher avec ces architectures-là qui peuvent être des moments de nature dans la ville.

Vous parliez de l’étude de l’infiniment grand et l’infiniment petit… Puisez-vous votre inspiration dans la nature elle-même ?

Dans mon travail, cette inspiration de la nature est aussi un pan de la réflexion autour du biomimétisme. Des projets comme l’Arbre blanc en sont un exemple. On s’inspire d’un arbre pour créer une architecture spécifique qui est unique parce qu’elle s’est développée dans un environnement, dans un cadre extrêmement favorable.
Il y a également Art’Chipel, un projet de logements complètement enveloppé de nature qui utilise des stratégies de camouflage, de caméléons. Le reflet de la nature sur l’architecture fait qu’elle est en connexion directe avec l’environnement. Et lorsqu’on est à l’intérieur de cette architecture-là, protégée par cette carapace réflexive, on perçoit la nature en permanence à chaque instant depuis chez soi.Donc ce lien permanent entre l’intérieur et l’extérieur, ce glissement visuel continu permet d’avoir l’environnement naturel autour de soi. C’est un aspect que je trouve important dans l’architecture pour bien vivre.

À l’heure où l’écologie occupe une place centrale, comment intégrez-vous architecture et décarbonation ?

Je confronte toujours la biodiversité et la nature à mes projets ; c’est un équilibre à trouver entre à la fois l’existant et la manière dont on intègre l’architecture dans l’environnement. La nature vient prendre parfois le dessus de l’architecture, parfois elle vient l’intégrer, parfois elle se met dessous.

Donc oui, il y a cette volonté de créer une architecture à la fois écologique, respectueuse de l’environnement, moins consommatrice. Avec sa morphologie, elle développe une architecture qui n’a pas besoin de climatisation parce qu’elle est ventilée naturellement, et n’a donc pas besoin d’aide technologique. C’est une morphologie naturelle qui permet de vivre dans le Sud.

La nature prédomine dans vos conceptions. Quel regard portez-vous sur le concept de Smart City et de ses usages de nouvelles technologies ?

On parle beaucoup de Smart city… Je pense qu’à chaque instant, les villes étaient les plus intelligentes de leur époque. Il n’y a pas de Damned City, ça n’existe pas. Les technologies nous permettent d’évoluer au fur et à mesure, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut oublier l’essence même de ce qu’est une architecture, de ce qu’est la biodiversité, de ce qui nous permet de vivre.

Je plante beaucoup d’arbres dans tous mes projets. Pourquoi plante-on des arbres ? Tout simplement parce que c’est un outil de rafraîchissement, mais aussi de production d’oxygène et d’absorption de CO2. C’est une façon aussi d’agrémenter notre environnement visuel parce qu’on est fait pour vivre dans la nature. Et je suis toujours vigilent car il ne faut pas que la technologie, aussi incroyable soit elle, nous éloigne de la réalité et de ce qu’est notre être, c’est-à-dire ce lien avec la nature. Il faut qu’elle soit au service de la préservation de la biodiversité et d’une architecture écologique et environnementalement respectueuse.

Une fois bâti l’objet architectural mène sa vie propre. L’environnement, la nature le temps qui passe…le libèrent des liens avec son concepteur. Comment intégrez-vous cet aspect ?

La nature va permettre de faire évoluer l’architecture dans le temps. Je trouve absolument fascinant de ne pas contrôler le résultat final et voir l’architecture évoluer en permanence. L’architecture en mouvement, en transformation, en retransformation –Plusieurs vies dans une vie… On a essayé de faire des architectures qui peuvent être imbriquées avec une multitude de programmes. C’est passionnant de se dire qu’une architecture peut évoluer. C’est un chantier. Et la nature, c’est ce chantier permanent…

Quel sentiment voudriez-vous faire éprouver à ceux qui vivent dans vos créations architecturales ?

Il y a un sentiment que j’aimerais transmettre aux gens qui vivent, traversent ou passent dans mes bâtiments, c’est cette sensation de légèreté, de beauté, de lumière, cette sensation qu’on peut avoir lorsqu’on traverse une forêt, cette légèreté, cet apaisement.

Si j’arrive à faire ça un jour où à chaque fois, je serai l’homme le plus heureux, l’architecte le plus accompli. L’architecture n’est pas une démonstration d’existence ou de force. L’architecture, c’est la disparition. Pour moi, c’est quand on se sent bien dans un lieu, c’est que l’architecture a réussi à transmettre ce qu’il faut.

ECOTONE – Sophia-Antipolis, Antibes, France – © Manal Rachdi Oxo Architectes

Octobre 2023



Manal Rachdi – OXO Architectes
Edition Skira Paris
Sous la direction de David Rosenberg

J’imagine des espaces en contact permanent avec la nature et c'est cette architecture-là qui me passionne.

Manal Rachdi