Portrait de Duy Anh Nhan Duc
Portrait de Duy Anh Nhan Duc

Duy Anh Nhan Duc

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Le monde végétal est la matrice de toute son œuvre. Duy Anh Nhan Duc, artiste d’origine vietnamienne scrute, interroge et interagit avec la nature pour mettre en lumière la singularité et la magnificence de chaque végétal. Fleurs, graines, fruits, pétales, l’artiste commença son travail par l’approche de l’infiniment petit pour ensuite s’ouvrir aux géants, les arbres. Dans son exposition Les cimes de l’asphalte actuellement à l’espace Richaud à Versailles, l’artiste met à l’honneur ceux qui habitent les forêts, ces êtres majestueux de l’espace et du temps et montre la place essentielle qu’ils occupent dans nos vies. Rencontre.

Comment vous est venu ce désir d’explorer le monde végétal ?

Mon intérêt pour le végétal remonte à mon enfance passée au Vietnam à Saigon. Je passais la majeure partie de mon temps à jouer, pieds nus, dans le grand jardin de ma maison rempli d’arbres fruitiers. Manguier, tamarinier, avocatier, longanier m’entouraient. Je grimpais sur leurs branches pour pouvoir manger leurs fruits. De ces instants de joie et de jeu, j’ai développé une sensibilité pour le végétal. L’émerveillement, la recherche, le jeu entre amis dans les arbres, la construction de cabanes… Ces premiers émois avec la nature ont été très déterminants dans ma construction. Je réalisais que le monde végétal me rendait heureux.

Puis vous avez quitté avec votre famille le Vietnam pour vous installer en France à l’âge de dix ans. Comment avez-vous vécu cette transition ? Avez-vous retrouvé un environnement naturel à l’image de votre jardin d’enfance ?

Oui, j’ai quitté le Vietnam à l’âge de dix ans pour vivre en France. Ça a été un moment difficile de ma vie car je ne parlais pas français. Heureusement, nous avons emménagé tout près de la forêt de Sénart. La forêt fut mon refuge. Graines, fruits, bourgeons, pétales, feuille, herbes, tout m’intéresserait. J’ai rencontré de nouveaux amis, j’ai reconstruit des cabanes, etc… J’éprouvais ce besoin constant d’aller voir la nature. En grandissant, je me suis mis à dessiner à l’encre de Chine des arbres imaginaires dans un langage assez onirique. Encore aujourd’hui, j’ai conservé ce regard d’enfant sur la nature parce que tout me fascine et m’interroge.

Vous avez exploré la flore avec des yeux d’enfant. Aujourd’hui, vous réalisez des œuvres montrant la préciosité du végétal. Comment travaillez-vous ?

Depuis quinze ans, je crée uniquement à partir d’éléments végétaux organiques récoltés au cours de mes promenades. Pissenlit, trèfle, pavot, hortensia, lichen… Mon processus créatif est instinctif. Je ne débute pas mon travail avec une idée précise, c’est la plante qui me dirige dans mon travail. Le secret des plantes, c’est l’observation. Je prends le temps de la connaître pour la cueillir. Par exemple, le pissenlit doit être cueilli au bon moment pour préserver la fragilité et la transparence de son aigrette. Je souhaite conserver son état originel, même si en réalité, elle est faite pour s’envoler. Tout le processus est long, rien n’est simple dans la nature, même si tout est récolté par mes soins. Je suis donc partie des fleurs, graines, fruits, pétales pour ensuite m’ouvrir aux géants, les arbres.

Comment travaillez-vous l’or dans vos œuvres florales ?

Le travail à la feuille d’or tient une place importante dans mes oeuvres et particulièrement dans celles réalisées à partir de plantes très communes – comme le pissenlit, le salsifis, le chardon, ou encore le trèfle. Ces herbes que l’on ne remarque plus, que l’on écrase souvent ou que l’on considère parfois comme de la mauvaise herbe. Une fois cueillies et séchées, je compose avec elles avec l’intention première de préserver leur beauté originelle. L’or me permet de les mettre en lumière. Lorsqu’on pose une feuille d’or sur un trèfle ou sur une fine graine de pissenlit, instantanément on révèle son relief, ses nervures et on redonne à voir cette infinie délicatesse.

Je suis autodidacte et lorsque j’ai débuté la dorure à la feuille il y a quinze ans, je suis allé frapper à la porte des doreurs du Château de Versailles. J’ai appris en les observant. Cet art demande beaucoup de patience et de délicatesse. Lorsque je dore des aigrettes, mon souffle doit s’accorder avec mon geste pour ne pas voir s’envoler la fragile feuille d’or et surtout l’aigrette de pissenlit.

Vous mettez à l’honneur les arbres dans l’exposition « Les cimes de l’asphalte » qui se tient actuellement à l’espace Richaud de Versailles. Quelle place occupent-ils dans votre processus créatif ?

Pour cette exposition, la place de l’arbre dans mon travail est centrale, à tel point qu’il est devenu ma palette de couleur. À partir des feuilles séchées à l’automne ou des fruits, j’ai obtenu, après décoctions ou infusions à froid la teinte, les pigments de chaque arbre. Catalpa, cerisier, frêne, ginkgo, hêtre, noyer, prunus, sophora, sureau…. Chaque arbre offre sa couleur. Grâce au procédé de la teinture végétale, j’ai réalisé des monochromes sur des toiles de lin ou de coton. Dix-sept toiles teintées sont exposées, tout le long de la galerie sud de l’Espace Richaud. Peut-être ai-je cette folie de dire que j’ai envie de passer ma vie à redonner aux arbres leur couleur. D’une certaine façon, mon objectif est de créer une carte d’identité colorée de chaque arbre.

J’ai donc réalisé des toiles à partir de pigments de feuilles, de fruits et de graines mais aussi des sculptures en bois, des empreintes d’écorces… autant d’expériences que j’ai souhaité explorer au cœur de la matière qu’offrent les arbres.

Duy Anh Nhan Duc, Exposition Les Cimes de l’asphalte ©Adele_Kiffer

Travailler avec le végétal, c’est le connaître. Nous sentons que vous établissez une conversation intime avec le végétal. Comment dialoguez-vous avec lui ?

Le dialogue vient avec l’observation. Chaque végétal a son métabolisme et son cycle de vie. Il évolue, comme nous, en fonction des lunes montantes et descendantes. Tant qu’on ne les observe pas, on ne peut pas entrer en résonance dans leur intimité et les comprendre. Le temps de la contemplation est essentiel car il nous permet d’avoir une meilleure compréhension de leur monde. En observant la plante, je communique avec elle pour obtenir son secret. Je la regarde sur une longue durée. Le dialogue s’établit uniquement sur un temps long. Les arbres et la nature ont conscience de leur espace. Elles sentent le vent sur leurs feuilles, elles sentent leurs voisins parce qu’il y a aussi la connexion racinaire, elles sentent aussi lorsqu’elle est touchée par l’humain.

Vous dites que « tous les arbres ont des histoires à raconter ». Chaque végétal a sa propre histoire et donc son un dialogue qui lui est propre ?

Oui, tous les arbres ont une histoire longue et ont probablement plein de choses à nous raconter parce qu’ils ont su vivre en symbiose, ils ont des millions d’années d’évolution. Les arbres des forêts occupaient une place importante dans la cosmogonie des peuples premiers. Comme le dit le chercheur et forestier Ernest Zürcher, un arbre est comme un pont tendu vers le ciel, qui relie le monde souterrain au monde céleste.

Dans l’exposition « Les cimes de l’asphalte », vous interrogez notre relation à l’arbre. Y a-t-il une dimension sacrée dans votre œuvre ?

Je souhaiterais intégrer une dimension sacrée dans mes futurs travaux. À l’origine, je devais recueillir des récits de peuples portant un regard sacré sur leur arbre pour mon œuvre L’arbre monde. Cette œuvre est une bibliothèque de quatre-vingts livres sculptés en bois dans quarante essences différentes. Cette installation est comme un endroit sorti d’un rêve dans lequel nous pourrions faire appel aux arbres et à leurs enseignements.

Finalement, je vois les arbres comme nos ancêtres. Ils ont un vécu, un savoir, une expérience. Pourquoi ne pas ouvrir ce livre ? Puiser dans leur savoir pour s’améliorer dans nos vies de tous les jours. A-t-on la possibilité de les lire ces arbres ? L’envie et le temps aussi ? Les arbres vivent 200 ou 300 ans. Une transmission peut se faire dans le temps.

Je n’ai pas eu le temps d’aller à la rencontre de ces peuples afin d’apposer leur témoignage sur chaque livre de la bibliothèque. Ce travail-là demande du temps. Dans le respect et le partage, je souhaiterais être le passeur entre eux et les arbres. Il y a tant de choses à dire… Une forêt, c’est une multitude d’essences d’arbres. L’idée c’est d’avancer petit à petit sur ce projet, sans me précipiter ou incarner quelque chose qui ne me correspond pas.

Il y a toute de même une dimension sacrée dans votre travail. Sous la coupole de la chapelle, vous exposez un sapin dont le tronc est composé de maillons sculptés. Cet arbre symbolique occupe une place importante dans notre société moderne, chaque hiver à l’approche de noël. Quel message souhaitez-vous véhiculer ?

Je me suis demandé quel serait l’arbre représentatif de notre civilisation moderne. Avons-nous un arbre sacré ? Il y a bel et bien un arbre qui nous attire à un moment précis de l’année, et presque dans le monde entier. À l’approche du mois de décembre, chaque hiver, on choisit un sapin pour l’installer au cœur de notre foyer.

Hélas, ces arbres sont devenus une marchandise, comprenant tout ce que cela génère : monoculture, épandage de pesticides et d’hormones, transport… Il faut entre 5 à 10 ans pour produire un sapin. Tout cela pour quelques jours de festivités. Un jour, il est idolâtré et le lendemain, il dépérit et devient une charge dont on se déleste. Alors on le jette dans la rue comme un déchet. Depuis plusieurs années, en janvier, sur le chemin de mon atelier, je récupère des sapins et cela faisait longtemps que cette installation trottait dans ma tête !

Elle parle de cet éternel recommencement et de cet enchaînement du poids des traditions. C’est la raison pour laquelle j’ai sculpté des chaînes à même le tronc d’un sapin. Des maillons sont enchâssés les uns aux autres. On n’arrêtera pas d’acheter des sapins à noël mais c’est une forme d’invitation à repenser à réfléchir différemment.

Toute votre œuvre dialogue avec la nature. Que trouvez-vous de captivant dans le végétal ?

Ce qui est passionnant dans le végétal, c’est sa singularité. Un végétal d’une même variété est différent parce qu’il n’a pas la même forme. Son étude m’ouvre donc à de nouveaux apprentissages. À chaque nouvelle étude, je reviens à la page blanche et je procède à une nouvelle méthode de travailler.

Par ailleurs, je me sens plus humain quand je travaille avec les arbres et les plantes. Je les observe sur la durée dans leur cycle, j’établis une réelle connexion. Finalement, nous faisons tous partie intégrant d’un cycle de vie ; les plantes font des graines pour se reproduire et continuer leur lignée, comme l’humain.

Cette singularité, vous l’avez aussi observé en faisant des teintures végétales : chaque arbre offre une couleur différente.

Tout à fait. Si on met, bout à bout, chaque essence d’arbre, ça fait des milliers de couleurs. C’est fascinant. Ces teintures végétales sont comme un code couleur pour chaque arbre.

Vous semblez établir un rapport au végétal comme un individu avec lequel vous entrez dans une relation de compréhension profonde. Comment regardez-vous un végétal ?

J’ai passé quinze ans à regarder les végétaux. Si on regarde comme un homme, les pieds sur terre, on ne perçoit que la face du haut de la plante. Mais si on l’observe comme un enfant, à genoux, on regarde à la hauteur des plantes et on voit les choses différemment. L’angle du regard change. L’ortie par exemple, montre la cannelure d’une tige, en dessous, des épines. Je regarde alors la plante sa globalité, avec l’émerveillement d’un enfant. C’est fascinant car elle se révèle différemment.

Avant de sculpter le bois des arbres, je tourne autour pour le regarder dans son entièreté.  J’observe son écorce, ses branches, ses bourgeons, ses racines et la terre qui l’entoure, si on dessouche l’arbre. Je n’observe pas simplement le bois, mais tout ce qui compose l’arbre. C’est la vision de tout son être qui m’intéresse, pour ensuite le montrer dans toute sa richesse.

La nature est votre principale source d’inspiration. Et quelles sont les artistes dont l’héritage vous inspire ?

Les artistes comme Herman de Vries, Claude Lalanne, Giuseppe Penone, Andy Goldsworthy sont évidemment des références. J’apprécie aussi les peintures d’Henri Rousseau, l’art de la période naïve, l’art nouveau, fabuleux mouvement inspiré du végétal, le peintre Alphonse Mucha. Tous ces artistes ont représenté la nature avec une grande liberté.

Tant qu’on est amoureux de la nature, et qu’on arrive à le transmettre dans nos créations, peu importe l’époque, compris ou incompris, on crée car la création est plus forte que tout. Peu importe où ça nous amène. C’est cela qui me fascine dans l’art.


Exposition Les Cimes de l’asphalte 
Duy Anh Nhan Duc 
Espace Richaud
78 boulevard de la Reine – Versailles 
Du 25 octobre au 26 janvier 2025

Instagram de Duy Anh Nhan Duc 

Le temps de la contemplation est essentiel car il nous permet d’avoir une meilleure compréhension de leur monde.

Duy Anh Nhan Duc