

Orlan
AUTOUR D'UNE ŒUVRE
L’origine du monde de Gustave Courbet
À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Par Fanny Revault
ORLAN, artiste féministe, nous parle aujourd’hui de L’origine du monde de Gustave Courbet : un corps de femme tronqué par le cadre, révélant un pubis brun, cuisses écartées dans une touche ample de la peinture vénitienne. Cette composition franche et provocatrice, sans visage, ni de bras, ni même de jambes – juste un sexe de femme – ORLAN va constituer pour l’artiste le début d’un travail. En 1989, elle présente l’Origine de la guerre, pendant féministe l’œuvre de Courbet : une photographie de l’organe masculin en érection, reprenant fidèlement le format et l’image du cadre. Pour l’artiste, cet organe masculin, symbole du pouvoir souverain et de la virilité, n’est pas seulement à l’origine de la guerre entre les sexes, il est aussi le générateur d’une violence plus universelle. La guerre et la violence toujours présentes dans le monde actuel a incité ORLAN a présenter une seconde version de l’Origine de la guerre (2023). Depuis les années 1960, l’artiste n’a eu de cesse de dénoncer la violence faite au corps, surtout celui des femmes. Rencontre.
Pourquoi avoir choisi L’origine du monde de Courbet comme point de départ à votre œuvre L’Origine de la guerre ?
Parce que L’origine du monde de Courbet est un tableau digne d’un tueur en série, extrêmement sadique avec la femme, et j’ai voulu voir ce qui se passait lorsqu’on faisait la même chose à l’autre pendant de l’humanité : à un homme. Je lui ai coupé la tête, les bras et les jambes pour qu’il ne reste plus que le sexe et je l’ai mis dans le même cadre que cette œuvre exposée à Orsay. Et voilà le résultat : je l’ai intitulé non pas L’Origine du Monde, mais L’Origine de la Guerre.

Votre travail a toujours questionné le corps humain, et particulièrement celui des femmes…
Oui, toute mon œuvre peut se lire comme un questionnement du statut du corps dans la société, via toutes les pressions, qu’elles soient sociétales, culturelles, traditionnelles, religieuses ou politiques, et qui s’inscrivent dans les chairs, et particulièrement dans les chairs du corps des femmes.
L’Origine de la guerre date de 1989. Aujourd’hui vous présentez une seconde version. Pourquoi avoir fait une nouvelle œuvre et quel est son message ?
Ça me paraissait vraiment nécessaire de refaire cela, parce que c’est une version que j’ai faite en 1989, et je voulais en refaire une autre à l’heure actuelle, en rapport avec les hommes, la guerre, l’Ukraine et bien d’autres endroits… On se demande vraiment qui fabrique des hommes avec des intentions aussi mauvaises et grégaires. Pourquoi les hommes tuent-ils encore, battent et violent-ils les femmes ? J’ai donc absolument voulu prendre position en re-fabriquant une origine de la guerre en posant la question : “Qu’est-ce qui se passe quand on a ce morceau de chair, ce morceau entre les jambes ?”
Est-ce un tableau à charge contre les hommes ?
Non, pas contre tous : il y a bien sûr des hommes extraordinaires. Je suis féministe, mais j’adore les belles personnes, les beaux êtres humains, qu’ils soient hommes ou femmes. Et il y a beaucoup d’hommes qui ne harcèlent pas, qui ne gueulent pas, qui ne battent pas, qui ne tuent pas, qui ne violent pas : ceux-ci, je les aime.
Quel autre regard portez-vous sur cette œuvre de Gustave Courbet ?
Je ne mets pas en doute les qualités de peintre de Courbet, comme je ne remets pas en doute les qualités de Picasso quand je fais Les femmes qui pleurent sont en colère. Je mets simplement un bémol sur cette œuvre et ce qu’elles montrent.

Toute mon œuvre peut se lire comme un questionnement du statut du corps dans la société.