

Nathalie Decoster
AUTOUR D'UNE ŒUVRE
Léviathan Thot d’Ernesto Neto
À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Par Fanny Revault
Nathalie Decoster, artiste sculptrice, fut émerveillée en découvrant une installation monumentale conçue par l’artiste brésilien Ernesto Neto pour le Panthéon en 2006 : Léviathan Thot, une créature étonnante faite de voiles de lycra suspendue sous la coupole d’un des monuments les plus chargés d’histoire de la République. Marquée par cette œuvre anthropomorphique, Nathalie Decoster ne cessera de suivre le travail de l’artiste brésilien. Comme Ernesto Neto, elle réalise des œuvres monumentales investissant dans les lieux public autour d’un thème : la condition humaine. Rencontre.
Quel est l’artiste dont l’œuvre vous a particulièrement touchée ?
Mon plus gros coup de cœur, c’est lorsque j’ai vu au Panthéon une installation d’un artiste brésilien, Ernesto Neto. L’œuvre, Le Leviathan Thot, présentait des suspensions monumentales qui ressemblaient à des gouttes, en bas très élastique, dans lequel il avait intégré du sable et des matières organiques. Le rendu était phénoménal ! Ces gigantesques installations bougeaient, planaient… Cela créait une émotion à la fois sensuelle, sereine, totalement instinctive. C’était absolument incroyable. Il n’y avait pas besoin d’un mode d’emploi pour la comprendre. Moi qui suis toujours très sensible aux œuvres instinctives, émotionnelles, ou qui me font rire, j’ai eu le sentiment de revenir en enfance.
Cette œuvre d’Ernesto Neto a un côté organique. Le spectateur fait partie de l’œuvre : on rentre dans l’œuvre, on est en contact direct avec elle. C’est une immersion totale qui m’a absolument émerveillée, et m’a poussée à m’intéresser à cet artiste. Depuis plus de quinze ans, j’étais fascinée par cet artiste consacré qui expose partout dans le monde.
Ernesto Neto, Léviathan Thot. Panthéon, Paris. 2006. Source : CNAP, Festival d’Automne à Paris, photo : Marc Domage, © Ernesto Neto.
Ernesto Neto, Léviathan Thot. Panthéon, Paris. 2006. Source : CNAP, Festival d’Automne à Paris, photo : Marc Domage, © Ernesto Neto.
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Ernesto Neto, Léviathan Thot. Panthéon, Paris. 2006. Source : CNAP, Festival d’Automne à Paris, photo : Marc Domage, © Ernesto Neto.




Qu’avez-vous découvert en rencontrant Ernesto Neto et en explorant davantage son univers artistique ?
J’ai découvert d’autres œuvres de lui comme par exemple une installation faite de tubes en crochets dans lesquels on peut se promener, cela ressemblait un peu à l’intérieur du corps humain, à des veines où le sang circule. J’en ai fait l’expérience dans son atelier : on est suspendu, on est assez maladroit, c’est très amusant. C’est un artiste très attentif aux enfants, il fait pour eux des animations. Je trouve que ses clins d’œil sont très poétiques et ses installations sont toujours suspendues.
C’est vraiment un artiste qui me transporte, je trouve son travail très organique, mouvant, ici, ces sortes de grandes gouttes flexibles… c’est de la vie. Parfois même, il intègre des épices qui diffusent des parfums à travers ses installations, dans lesquelles le spectateur peut déambuler. C’est un véritable cadeau de sérénité qui fait beaucoup de bien.
En 2010, je suis partie investir un musée pour exposer à São Paulo. Bien évidemment, j’ai profité d’être au Brésil pour en apprendre plus sur Ernesto Neto, et j’ai eu la chance, il y a deux ou trois ans, d’aller dans son atelier à Rio. Notre complicité a été immédiate ! On a beaucoup ri, chanté et dansé…

Votre travail de sculptrice vous amène aussi à investir des lieux où l’espace environnant joue un rôle important. Quels liens établissez-vous entre votre propre travail et celui d’Ernesto Neto ?
Il y a une chose que j’ai en commun avec Ernesto, c’est que je fais, entre autres, des œuvres monumentales de 8 ou 9 mètres dans des lieux publics (jardins publics, ronds-points) parce que je travaille sur l’humain. Je fais aussi des œuvres pour l’intérieur, donc je fais des œuvres infiniment petites et infiniment grandes.
Dans mon travail, il y a toujours un personnage dans des formes géométriques qui délivrent un message sur la condition humaine, mais aussi un rappel à l’ordre, nous rappelant qu’il ne faut pas oublier de s’amuser, de lâcher prise, de retrouver de la sérénité dans notre relation au temps. Il faut être acteur et ne pas toujours subir le temps.
J’ai par exemple réalisé une sculpture qui s’appelle Espace-temps, où les gens jouent avec le temps. Ils jouent avec le temps pour séduire, pour négocier, pour construire, et j’invite vraiment les gens à jouer avec ces œuvres ! J’ai même installé des petits QR codes disant : Amusez-vous et identifiez-vous à ces personnages. C’est là toute ma symbolique : le temps passe, l’homme avance vers la sagesse. On s’angoisse avec les années, pourtant on peut aussi apprendre à prendre du recul et à gagner en sérénité.
Vous portez un regard sensible sur la condition humaine… sur son rapport au temps et à l’espace.
Le rapport de l’être humain à l’immensité de l’univers, dans toute notre fragilité, évoque celui de l’infiniment petit inscrit dans des structures infiniment vastes. Le cercle, le carré, le cube, ou encore les élévations verticales vers le ciel traduisent symboliquement cette vulnérabilité. J’ai notamment réalisé un culbuto, un objet qui renvoie à l’enfance. Il oscille, vacille, et pourtant, le personnage, bien plus grand que le cercle sur lequel il repose, parvient toujours à retrouver son équilibre, debout.
Cela reflète notre condition : en apparence fragiles, nous sommes aussi résilients. Et au fond, nous sommes capables de soulever des montagnes. C’est, en somme, une manière de parler de la nature humaine. Voilà mon approche de l’être humain…
Nathalie Decoster, Le Temps qui passe, © Nathalie Decoster
Nathalie Decoster, Le Temps qui passe, Rencontre dans le Temps, Nathalie Decoster
Nathalie Decoster, Frailty Cube,© Nathalie Decoster
Nathalie Decoster, Espace-Temps, © Nathalie Decoster




