

Conservation et Restauration d’Art, entretien avec Maxime Kapusciak
Par Marwan Kahil

Rencontre avec Maxime Kapusciak, entre érudition et finesse, curiosité infinie et absolue tendresse pour les artistes et l’Histoire de l’Art. Un échange empli de générosité et de délicatesse où sont évoqués la passion de vivre son métier mais aussi le chantier de Notre-Dame de Paris au coeur d’un parcours professionnel fait d’exigence et de rencontres. Un moment hors du temps au Musée du Louvre à la découverte d’une vocation, celle d’une vie dédiée à l’Art, à sa transmission et à sa pérennisation.
Conservation-Restauration d’Art, quel a été le déclic ? Votre parcours ?
C’est venu à moi à la fois progressivement et en même temps j’ai su rapidement que je voulais faire de la restauration. Je devais avoir 13 ou 14 ans. En voyage, mes parents aimaient visiter des régions toujours très différentes. Et contrairement à mes camarades de classe, je n’allais pas à la plage ou à la montagne mais je visitais des villes, des musées, des châteaux… Je me plongeais dans l’Histoire et dans ces espaces, ces volumes somptueux. L’Art provoque cette curiosité et cette envie.
Et les études ont suivi ?
Oui, je suis allé en Belgique. J’ai été à l’École Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre à Bruxelles où j’ai approché la peinture sur bois et la peinture flamande. J’ai appris énormément sur l’Histoire du plat pays et des Pays-Bas méridionaux.


Vous dessinez vous-même ?
Cela m’arrive, mon métier et ma passion restent la conservation, la restauration. Je m’y consacre pleinement.
Vous m’évoquiez une intervention sur une oeuvre de Johannes Vermeer récemment à Lille ?
Ce sont des interventions limitées. Comme récemment pour la Vierge et l’Enfant de Sandro Botticelli en prévision de l’exposition Revoir Cimabue présentée au Louvre. Sur les oeuvres de cette époque, on privilégie davantage le contrôle sanitaire et le contrôle structurel de l’oeuvre. S’assurer aussi des systèmes d’accrochage, du calage, du maintien de l’oeuvre dans son cadre. Parfois sur les oeuvres du XVIIème, il faut revoir certains systèmes. C’est un privilège. Des moments hors du temps.
Que ressent-on face à de telles oeuvres et face au travail de tels artistes ?
L’émotion est toujours au rendez-vous. Mais aussi la responsabilité. Je dirais à titre personnel que c’est le fait de s’approprier l’histoire de l’oeuvre et l’Histoire au sens plus contextuel qui procure aussi une vaste palette d’émotions. Plonger dans l’Histoire est un privilège. Au delà de l’état matériel de l’oeuvre, c’est d’abord apprendre du contexte historique de l’oeuvre et des choix de l’artiste qui est stimulant. Ensuite, il s’agit d’obtenir suffisamment d’informations sur un peintre même reconnu. S’il semble facile d’en obtenir, en réalité il est possible de se perdre, car il y a énormément de vrai et de faux issus d’un imaginaire collectif qui a pu s’égarer. Dans cette investigation qu’il faut mener, il y a énormément de tri à faire au départ. Notamment sur cet aspect informationnel et historique.


Nous sommes d’ailleurs devant l’Astronome de Vermeer, ici, au Louvre…
Johannes Vermeer a côtoyé énormément d’artistes que nous pouvons contempler dans cette salle, dont Gérard Dou par exemple, qui était tout aussi important et célèbre à l’époque, un peu moins aujourd’hui pour le grand public. Ces peintres étaient très prolifiques alors que Johannes Vermeer n’a, aujourd’hui, que 36 oeuvres attribuées et répertoriées dans le monde pour une production, de son vivant, ne dépassant pas 60 tableaux. En s’intéressant au contexte et au personnage, on découvre qu’il était catholique dans un monde protestant, ce qui est atypique. On pense qu’il s’est converti suite au mariage avec sa femme dont il reçu une importante dot. Il a vécu de manière assez sereine avec ce patrimoine et cette dot qui a augmenté à trois reprises au fil des années dans la part de l’héritage grâce à la mère de son épouse, qui vivait aux côtés du couple. Cette information est déjà intéressante en elle-même pour appréhender sa démarche et le contexte.
D’autant que cet aspect atypique de l’artiste est confirmé par un autre aspect : Johannes Vermeer aime susciter dans ses oeuvres l’interrogation. Gérard Dou a par exemple inspiré Johannes Vermeer pour son astronome, seulement Johannes Vermeer ne le représente pas de nuit contemplant la voute céleste, il le représente de jour. C’est un contre-pied novateur. Jamais on aurait représenté un astronome en plein jour. Ce que Johannes Vermeer veut transmettre c’est l’idée que la connaissance de l’humanité est dorénavant telle qu’il est possible d’étudier les étoiles en plein jour.
Cette lumière qui émane de la fenêtre, de cette fameuse fenêtre que l’on retrouve dans d’autres oeuvres de l’artiste ?
Cette lumière qui vient de gauche est typique de son atelier. L’atelier qui prend plusieurs aspects selon le thème travaillé. Johannes Vermeer a été inspiré par d’autres sur cet aspect mais c’est ce qui fait aussi sa spécificité, le choix de ce cadrage. En tant que peintre, Vermeer était surtout rare, son activité principale était celle d’un marchand d’art.

Être restaurateur est-ce être un enquêteur passionné ? Mener une investigation ?
Assurément. Le métier demeure aussi technique. Il y a un cahier des charges techniques en amont, soit au cours d’une étude préalable qu’il faut soi-même effectuer, soit qui est déjà établie avec les institutions. Le dialogue est permanent aussi sur un aspect plus contextuel avec des historiens de l’Art et des iconographes.
Mon métier relève de l’approche artistique et bien-sûr technique. Ce qui va exiger l’intervention de scientifiques et d’analyses en laboratoire. Sur l’épaisseur d’un vernis par exemple ou sur le composé chimique d’une matière, d’un pigment.
Il y a un diagnostic à établir. Il faut savoir ce qu’on cherche avant toute intervention avec un constat d’état. Il s’agit de faire une description, de lister l’ensemble des composants et des matières constitutives du tableau, tous les éléments du support, du panneau, jusqu’à la toile et l’ensemble des matières, des vernis, des modifications. Il peut y avoir un vieillissement naturel, des accidents, des restaurations «censurées» ou fantaisistes selon les goûts et les époques et cela sans qu’à l’époque il n’y ait eu de volonté de comprendre l’intention première du peintre. Il y a aussi des modifications stylistiques, c’est encore autre chose. Notre but n’est pas d’effacer l’Histoire.
Ce qui rappelle les mots de Cesare Brandi et sa théorie de la restauration dans l’ouvrage que vous me recommandiez ?
«La restauration doit viser à établir l’unité potentielle de l’oeuvre d’art, à condition que cela soit possible sans commettre un faux artistique ou un faux historique, et sans effacer la moindre trace du passage de l’oeuvre d’art dans le temps.» Pour reprendre les mots de Cesare Brandi.
Mon métier n’est pas d’effacer le passage du temps ou de l’Histoire mais d’être au plus près d’une vérité au cours de l’existence de l’oeuvre et ainsi lui permettre de perdurer autant que cela lui sera possible. Je ne vais pas forcément enlever une modification passée par exemple, si c’est au risque de tomber sur quelque chose d’altéré, cela ne servirait à rien.

En revanche si c’est pour restituer une vérité…
Les repeints de pudeur par exemple effectués sur une oeuvre de Cranach représentant Adam et Ève ont longtemps fait débat avant que les végétaux ajoutés à la fin du XVIIIème soient enfin retirés pour se rapprocher de la vision initiale du peintre.
Le débat existe au sein de votre profession, avant d’intervenir il faut ce débat, quelle est la liberté de manoeuvre d’un restaurateur d’art ?
Avant toute intervention c’est le constat d’état qui abouti à un diagnostic et après on fait une proposition de traitement. Il peut s’agir d’un traitement basique, parfois de l’ordre du « bichonnage » de l’oeuvre. Il peut s’agir d’intervention de conservation préventive ou curative. Comme il est possible que l’intervention soit sur du fondamental à cause d’altérations majeures qui mettent l’oeuvre en danger.
Il existe donc des dangers immédiats où une restauration à court terme et temporaire peut permettre une restauration plus importante ensuite. Les tableaux présents dans les églises subissent parfois des dommages importants souvent ignorés et que l’on découvre en effectuant des réparations sur le patrimoine architectural. Il s’agit alors de déposer le tableau pour le besoin de travaux et c’est à ce moment que l’on constate que l’oeuvre nécessite une intervention pour sa préservation. C’est comme ça, parfois, que ça engage les choses.
Vous êtes vous-même intervenu sur une oeuvre lors du chantier de la Cathédrale Notre-Dame de Paris… De quelle oeuvre s’agissait-il ?
J’ai travaillé sur une oeuvre de Jean-Baptiste Jouvenet, une toile de trente mètres carrés. Elle était dans la chapelle Saint-Guillaume, elle est dorénavant dans le transept Nord. Déposer l’oeuvre a permis de révéler une peinture murale qui fut restauré par un collège. La toile, elle, n’est jamais sortie de Notre-Dame, il a fallu travailler in situ. Et d’abord la déposer. Ce qui fut une prouesse technique. L’oeuvre n’a pas subit les dégâts du feu mais la suie et l’humidité, les poussières grasses… Il s’agissait d’une conservation curative, il fallait l’assainir et la raccrocher.
Pour cela il a fallu établir un protocole avec les régisseurs pour ce tableau de 700 kilos et le soumettre au cabinet d’architecture. Nous étions une équipe de cinq personnes, avec à mes côtés Xavier Lagarin et Aymeric Gherrak dont l’aide fut précieuse sur un tel chantier…

Un chantier colossal que cette conservation pour le chantier de Notre-Dame de Paris… Vous qui avez étudié à Bruxelles. Comment eurent lieu les premiers appels d’offre et les premières rencontres à votre arrivée à Paris ?
J’ai travaillé aux côtés d’Olivier Nouaille, spécialisé dans la peinture sur toile, aujourd’hui disparu. J’ai rencontré des jeunes restaurateurs et restauratrices et j’ai pu ainsi dans une vraie émulation pu répondre à de nombreux appels d’offres qu’il est possible de consulter sur le bulletin officiel des marchés publics. Mon premier appel d’offre était au Musée de l’Armée à l’hôtel des Invalides. J’ai été diplômé en 2007, nous sommes alors deux ans après.
Quelles oeuvres vous ont le plus ému depuis toutes ces années ?
Je ne saurai répondre, je dirai que les oeuvres des peintres hollandais me procurent énormément d’émotions par leur imagination et ce qu’ils apportent de novateur. J’aime l’imaginaire qu’offre ces peintres y compris dans des natures mortes en apparence discrètes. Il m’arrive de rêver que je restaure une oeuvre mais jamais une seule en particulier et je dois avouer que toutes éveillent ma curiosité et mon intérêt.
Vous intervenez pour de prestigieuses institutions et auprès de grands collectionneurs, nous sommes d’ailleurs aujourd’hui au Louvre pour échanger…
Intervenir sur les collections du Louvre est inestimable à mes yeux. Les rencontres, ma spécialisation, tout cela permet de travailler sur les projets d’institutions prestigieuses et sur des oeuvres exceptionnelles. Je rencontre aussi des collectionneurs passionnés par leurs oeuvres et des artistes de renoms, d’autres qui gagneraient à être connus davantage du grand public, et la relation de confiance qui s’instaure est un privilège. C’est un bonheur de voir dans le regard de mes clients institutionnels ou privés, cette satisfaction une fois la restauration achevée.

— Maxime Kapusciak en cinq dates :
2007 : Diplôme d’État en conservation-restauration d’oeuvres d’art (spécialité peinture)
2009 : Installation à Paris et premier marché public à l’hôtel des Invalides, Musée de l’Armée.
2012 : Première intervention sur les collections du Musée du Louvre.
2017 : Accord cadre pour la conservation-restauration des peintures sur bois au palais des Beaux-Arts de Lille.
2023 : Intervention à la Cathédrale Notre-Dame de Paris.
— Entretien réalisé par Marwan Kahil au Musée du Louvre aux côtés de Marion Briffod.
Reportage photographique : © Marion Briffod pour Art Interview.