Image de Edith Dekyndt
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Edith Dekyndt

AUTOUR D’UNE ŒUVRE

La Femme en bleu lisant une lettre de Vermeer.

À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Johannes Vermeer, l’un des plus grands maîtres de la peinture hollandaise du XVIIe siècle a laissé une œuvre remarquable. Ses tableaux aux éclairages délicats mettent en scène des personnages dans leur quotidien, concentrés sur une tâche : lire une lettre, jouer de la musique, ou faire de la couture…
Émue par la simplicité des scènes à la fois silencieuses et vivantes, immobiles et animés où le temps est suspendu, Edith Dekyndt, artiste plasticienne belge fut troublée très jeune par cette peinture au Rijksmuseum d’Amsterdam. Un rendu quasi organique du vivant et une exactitude des éléments (lumière, texture, objets, etc…). Cette présence du vivant intrinsèque à son travail l’a résolument nourrie dans sa démarche artistique. Rencontre.

Pour cet entretien, pourquoi avez-vous choisi de parler de Vermeer ?

La collection d’œuvres, qui m’a touchée au point de verser des larmes, ce fut lorsque j’ai vu les premières œuvres de Vermeer à Amsterdam. J’avais une vingtaine d’années, et ce fut un choc de voir des choses si simples de la vie quotidienne. C’est la luminosité et la vitalité de ses œuvres qui m’a profondément émue. Je me souviens particulièrement des objets, de la lettre, des tissus de certains tableaux. Parmi ses œuvres, Jeune fille à la lettre a retenu mon attention.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’œuvre de ce grand maître de la peinture ?


La simplicité. Juste un morceau de papier et la femme en bleu. On a l’impression que c’est un instant qu’il a furtivement volé à la personne. Je trouve qu’il y a dans cette œuvre un aspect photographique et, en même temps, une notion d’éternité. C’est un instant qui dure, perdure encore et durera pour toujours tant que les tableaux existeront. Ce qui m’intéresse, c’est aussi ce mélange entre l’éternité et l’instant fugitif, presque volé à la personne, en sachant que Vermeer a dû passer des heures de travail. Mais tout cela, on ne le percevons pas dans l’émotion, nous avons juste l’instant d’une scène qu’il capture.
Il y a aussi beaucoup de mystère sur ce moment : cette lettre. Qu’est-ce qui fait que chaque personne peut réellement se projeter dans cette scène ? Cette ouverture que propose l’œuvre m’intéresse aussi. Il y a donc un mystère, d’une certaine manière : pourquoi Vermeer a-t-il peint ce moment-là ?

Vermeer Johannes, La femme en bleu lisant une lettre, 1662 © Rijksmuseum

Comment la composition et la facture propres à Vermeer rendent ce tableau unique ?

Tout d’abord, la lumière : elle semble émaner du tableau lui-même. Comme si c’était pour nous, contemporains, une sorte de boîte lumineuse, bien que nous sachions très bien qu’il s’agit d’une toile de lin sur laquelle de la peinture à l’huile a été appliquée. Vermeer a donc réussi à faire venir la lumière du fond du tableau, mais les lumières sont toujours transversales. C’était un élément très important dans les peintures de cette époque, et aujourd’hui encore. Je pense qu’il y a beaucoup de peintres qui aiment la lumière transversale.
Cette peinture est à la fois vivante, et en même temps immobile. Chaque élément et matériau, que ce soit le verre, le vivant, les tissus, les objets, le bois, etc, semble moléculaires dans la manière dont il est peint. J’ai trouvé cela assez fascinant de penser que Vermeer vivait à une époque où l’on ne connaissait pas la vie moléculaire, mais il vivait à une époque d’ouverture immense sur le monde.

Cette ouverture sur le monde que vous évoquez a-t-elle inspiré Vermeer ?

Oui, Vermeer s’intéressait à l’astrologie par exemple, et à toutes ces disciplines qui se sont développées aux Pays-Bas à cette époque. Il a aussi été influencé par la philosophie, dont celle de Spinoza, et vivait à proximité de personnes qui ont découvert des éléments naturels, ou qui s’intéressaient au système naturel dans lequel nous vivons. Il s’intéressait aussi à toutes sortes d’autres choses : la matière, le sacré, le vivant, le minéral, ou encore le végétal, tous ces éléments qui font partie en réalité d’un tout et sont faits de la même substance.

Comment Vermeer a-t-il influencé les penseurs et les artistes ?

Lorsqu’on s’intéresse à Vermeer, on se rend compte que beaucoup de personnes ont écrit à son sujet. Comme Proust, par exemple, qui écrivait combien il était subjugué par un petit mur jaune dans une vue de Delft, qui est en effet un petit carré lumineux, comme si le soleil était arrivé pour quelques instants sur ce mur.
C’est une œuvre qui fascine à la fois les écrivains, les peintres et les cinéastes. Mais je pense que ceux qui lui rendent le mieux hommage sont ceux qui ont perçu cette lumière émanant de ces peintures. Ce type de scène, ce sont simplement des scènes de la vie quotidienne avec des gestes que ces femmes accomplissent chaque jour. Il n’y a pas de politique, de questions religieuses…

Vue de Delft (Gezicht op Delft), 1659-1660, © Mauritshuis

Ces scènes ordinaires et paisibles peintes dans une atmosphère réaliste et intime ont-elles influencées votre travail d’artiste ?

Oui, je pense que la peinture de Vermeer m’a tellement marquée que cela se retrouve beaucoup dans la manière dont je travaille la lumière, dans la manière dont je peux réaliser des sortes de peintures vivantes et de natures mortes qui bougent juste un peu, en somme, des actions très lentes. Je pense que cette œuvre a été formatrice et en même temps a imprégné et imprègne encore mon travail.


Visionnez ici l’interview d’Edith Dekyndt

Cette peinture est à la fois vivante, et en même temps immobile.

Edith Dekyndt