Image de Lorenzo Fiaschi
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Lorenzo Fiaschi

AUTOUR D'UNE ŒUVRE

Jue Chang, Dancing body – Drumming mind de Chen Zhen

À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Chen zhen, Jue Chang, Dancing body – Drumming Mind, 2000, Galleria Continua, Photo : Ela Bialkowska, © ADAGP, Paris ; Exposition : The body as a landscape, 2007, Kunsthalle, Vienne

Alors qu’il errait dans les rues de l’Arsenal à la Biennale de Venise en 1999, Lorenzo Fiaschi, codirecteur de la galerie Continua, fut attiré par des sons provenant d’une salle. En s’approchant, il y découvrit un réseau de tambours faits de peaux de vache tendues sur des structures de lits et de chaises. Cette installation de Chen Zhen, artiste-plasticien chinois, invitait les spectateurs à expérimenter tactilement les tambours créant ainsi une musique d’humanité. Cet art participatif mettant en relation corps humain et instrument l’a immédiatement captivé. Lorenzo Fiaschi nous parle de cette rencontre bouleversante.

Vous souvenez-vous d’une œuvre qui vous a particulièrement marqué ?

Il y a une œuvre qui m’a plus que marqué, qui m’a bouleversé. Une œuvre de Chen Zhen m’a apporté un nouvel élan, très important et très fort. Plus qu’une œuvre, c’était une installation, que j’ai d’abord entendue avant de voir. J’étais un peu perdu dans la Biennale de Venise, dans les petites ruelles un peu ennuyeuses, je m’ennuyais. Et j’ai commencé à entendre des bruits, doucement, des roulements de tambour. Je me suis approché, mais je n’arrivais pas à distinguer quoi que ce soit. Le son se faisait de plus en plus fort. Je suis entré, et je me suis trouvé devant une énorme installation, construite avec des lits et des chaises recouverts de peaux de vache tendues, montées sur un montage très spécial en bois. Et autour, des visiteurs qui s’acharnaient à frapper avec des bâtons ces peaux de vache. Des tambours, de fait.

Chen zhen, Jue Chang, Dancing body – Drumming Mind, 2000, Galleria Continua, Photo : Ela Bialkowska, © ADAGP, Paris ; Exposition : The body as a landscape, 2007, Kunsthalle, Vienne

Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans cette installation ?

La chose la plus incroyable, c’était que ces gens qui ne se connaissaient pas, ensemble, ont réussi à trouver une synergie, ont réussi à se concentrer sur les autres et à créer une véritable harmonie. C’était formidable. Ce n’étaient pas des musiciens, mais dans l’écoute et dans l’énergie, ils créaient une musique d’humanité. Et ce moment était extraordinaire. Cette complicité entre l’œuvre, donc l’artiste, et le visiteur, l’observateur, et dans ce cas-là le participant, était un miracle. Et donc j’ai voulu découvrir tout de suite qui était l’artiste : Chen Zhen.

Pouvez-vous nous parler de l’artiste Chen Zhen, et de sa démarche artistique ?

Chen Zhen était un artiste chinois qui vivait à Paris. Il avait décidé de laisser son pays pour rencontrer une nouvelle culture, oublier en partie la sienne pour mieux apprendre la nouvelle, et ensuite créer une synergie entre sa culture d’origine et sa nouvelle culture, pour en créer une troisième, plus personnelle. L’œuvre de Chen Zhen dont j’ai parlé représente deux éléments importants : le lit et les chaises. La chaise est un endroit où on s’assoit, on se repose, mais aussi on bavarde. La table est l’endroit où on mange, où il y a des réunions politiques pour trouver des ententes. Et puis il y a le lit, le lieu du repos, le lieu de l’amour, du réconfort. Il y a donc ces éléments symboliques, qui représentent la société humaine. Le lit, la table et la chaise sont des artifices que l’homme a inventés et qui nous permettent de vivre plus confortablement.

Portrait de Chen Zhen © ADAGP, Paris

Comment interprétez-vous les éléments utilisés dans cette œuvre ?

C’est une œuvre à vivre, une œuvre dont on reconnaît les éléments, une œuvre qui devient familiale. Puis il y a cette manufacture de la peau tendue qui rappelle nos origines, la peau qui nous permettait de nous couvrir, de construire des cabanes. C’est un élément très fort, très primitif, donc très humain. Chen Zhen œuvrait pour unir les peuples. Je pense que c’est un des premiers artistes véritablement globaux, qui allait chercher les beautés et les richesses dans chaque culture, pour les mettre ensemble et créer un nouveau, merveilleux bouquet de fleurs. Malheureusement, il est mort très jeune, à l’âge de quarante-cinq ans, d’une leucémie. Il avait cette maladie depuis longtemps. Et pour lui, chaque jour était une vie, chaque jour était important. Je n’ai jamais vu dans ses yeux le désespoir, toujours la joie, la gaieté, l’envie de rencontrer l’autre.

Pensez-vous que l’art peut jouer un rôle dans le monde d’aujourd’hui ?

Peut-être que je suis naïf ou trop romantique, mais j’ai toujours pensé que l’art pouvait sauver le monde, qu’à travers les sensibilités, on s’écoute plus. Finalement, l’art, c’est un peu comme le vent : il se fiche des frontières, il passe à travers, vole et fait rencontrer les diversités. Il faudrait beaucoup plus de culture et moins d’armes. Probablement que les pays devraient investir plus dans la culture et moins dans les armes. On échange et on grandit ensemble, dans la culture, dans l’amour pour l’autre, dans la différence. On apprend des choses. Tu es jaune, je suis bleu, on fait du vert ensemble. Donc on existe avec trois éléments pour créer une palette beaucoup plus animée, colorée. On se compose avec élégance, et ça, c’est grâce à la culture.

Visionnez ici l’interview de Lorenzo Fiaschi

Chen Zhen œuvrait pour unir les peuples.

Lorenzo Fiaschi