Frank Perrin
AUTOUR D'UNE ŒUVRE
Oozewald de Cady Noland
À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Par Fanny Revault
Oozewald de Cady Noland, une œuvre intrigante représentant un portrait de Lee Oswald, assassin présumé du président JF Kennedy, imprimé sur une plaque de métal et perforée de quelques trous. Refusant le marché de l’art et l’académisme, Oozewald reste cependant l’œuvre d’art d’une artiste femme contemporaine qui atteint le record du prix de vente (6,6 M $). Affranchi du tirage photographique, Frank Perrin est fasciné par la simplicité et la radicalité de son geste. Très imprégné de cette œuvre, l’artiste conçoit quarante ans plus tard Blind test (Combat, Pray, Amore), une série d’images de subversion et de lutte imprimées sur carton sans tirage photographique. Rencontre.
Quelle œuvre vous a particulièrement marqué dans votre carrière ?
C’est une œuvre comportant une série d’images sérigraphiées en noir et blanc sur des plaques de métal posées à même le sol, réalisée il y a déjà presque quarante ans, par la fantastique artiste américaine Cady Noland. Dans cette série d’images sérigraphiées sur métal, il y en a une qui m’a totalement fasciné. Il s’agit de Oozewald, un clin d’œil à l’assassin de John Fitzgerald Kennedy, Lee Harvey Oswald. Elle a repris une image de presse de ce dernier, juste avant qu’il ne soit assassiné à son tour par un mafieux de Dallas, et elle l’a reproduite sur une plaque métallique en sérigraphie. Mais elle ne s’est pas arrêtée là : elle a perforé l’image, créant des impacts de balles, et enfoncé dans la bouche de l’assassin un drapeau américain, maintenu par un gobelet de Coca-Cola.
Cady Noland, Oozewald, 1989, © Collection MuHKA, Anvers
Cady Noland, Oozewald, 1989, © Collection MuHKA, Anvers
Cady Noland, Oozewald, 1989, © Collection MuHKA, Anvers



Où se situe la force de cette œuvre ?
Il s’agit de la critique la plus directe, la plus brutale de cette société américaine qui s’est construite, en partie, sur le crime. Il y a toujours eu des parallèles entre Lincoln et Kennedy, et les fondations criminelles des États-Unis. Cette violence, Cady Noland, n’a cessé de la questionner et de la représenter de la manière la plus cash, la plus frontale, avec du métal. J’ai vu en elle une manière libérée de faire de l’art, sans concession, sans compromis, sans calcul. C’était une œuvre rare, soudaine, froide, qui a fait table rase de plein de choses. Et je me suis demandé comment atteindre une telle puissance avec des trous, c’est-à-dire en mettant au centre le vide.
Les trous dans l’ œuvre de Cady Noland vous interpellent et vous questionnent. Qu’évoquent-ils pour vous ?
Le trou a une puissance mythique, imaginaire, inconsciente. Ces trous obscurs, mystérieux, invisibles et pourtant codés nous libèrent autant qu’ils nous construisent. Passer à travers l’œuvre, aller au-delà, derrière, c’est un geste iconoclaste. On perfore l’image, mais on invite aussi à voir autrement. Un trou peut parfois dire bien plus que tous les bavardages.
Dans votre œuvre, vous abordez également ce dialogue avec les trous. Que souhaitez-vous exprimer ?
Quand j’ai commencé à travailler sur ces trous, je ressentais une dette importante envers cette artiste. J’avais aussi en tête l’œuvre soudaine, abrupte et sauvage de Niki de Saint Phalle, entre ses tirs et les perforations exactes, métalliques, glaciales de Cady Noland. Ça m’a plus qu’inspiré, ça m’a animé, nourri, bien que le propos soit différent : il ne s’agit pas ici d’une critique de la société américaine, mais d’un questionnement sur la vision elle-même.
J’avais envie de présenter des images de subversion, de refus, mais aussi une subversion du regard. Sur des images de colère, j’ai introduit des trous, mais ces trous contiennent du braille et, au fond, des miroirs : ainsi, le spectateur, en regardant, ne voit que lui-même. J’ai voulu me rapprocher de ceux qui ne voient pas et du vide, pour faire une parabole sur la perception.
Frank Perrin, Combat, 2022, © Galerie Michel Rein Paris / Brussels, Photo : Florian Kleinefenn
Frank Perrin, Pray, 2022, © Galerie Michel Rein Paris / Brussels, Photo : Florian Kleinefenn
Frank Perrin, Amore, 2022, © Galerie Michel Rein Paris / Brussels, Photo : Florian Kleinefenn



Qu’a apporté Cady Noland au monde de l’art ?
Cady Noland, au même titre que David Hammons ou Félix Gonzalez-Torres, fait partie de ces artistes cultes, secrets, qui nourrissent les imaginaires et les inconscients. L’intérêt d’un David Hammons ou d’une Cady Noland ne réside pas dans leur influence formelle, mais dans la force des messages qu’ils envoient à leur public, chacun les recevant et les assimilant de mille manières différentes. Leur puissance vient du fait qu’ils nous poussent à aller ailleurs, plus loin, autrement.
La résistance de Cady Noland au marché, malgré le fait qu’elle ait atteint des prix indécents, rejoint la même dialectique qu’un David Hammons. Ils prouvent que l’on peut toucher le sommet du marché tout en le questionnant, sans jamais faire la moindre concession. C’est ça, leur force : ils ont fait peu, mais ils ont fait excellemment. Et ça, c’est une leçon.
C’est ça, leur force : ils ont fait peu, mais ils ont fait excellemment. Et ça, c’est une leçon.