

Eva Jospin
AUTOUR D'UNE ŒUVRE
Méduse du Caravage
À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Par Fanny Revault
Imprégnée de mythologies et de contes, Eva Jospin, artiste plasticienne, évoque sa fascination pour la figure hypnotique de Méduse, l’une des trois Gorgones issue du mythe grec vieux de 2800 ans. Méduse, belle jeune fille punie par Athéna pour s’être unie à Poséidon, réfugiée dans une grotte, elle est débusquée par le héros grec Persée qui la décapite et remet sa tête à Athéna qui la fixe sur son bouclier (égide). Plus tard, elle incarnera cette ambivalence à la fois bénéfique et maléfique, masculine et féminine, une furie guerrière qui pétrifie tout mortel qui croise son regard… L’artiste rêve dans une variété de techniques (carton, dessin, broderie) ces différents mondes imaginaires de l’Antiquité et de la Renaissance. Grottes, forêts fossiles, bois, architectures, jardins, de l’orée des bois aux grottes antiques, Eva Jospin joue avec le réel et laisse le visiteur se surprendre et se porter par l’illusion tout au long de la découverte des œuvres.
Quelle œuvre a marqué votre vie d’artiste ?
Beaucoup d’œuvres m’ont marqué tout au long de ma carrière. Je ne suis pas sûre d’en avoir déjà parlé, mais quand j’étais adolescente, j’avais une carte postale de la peinture de la Gorgone du Caravage. C’est une figure qui m’a toujours beaucoup intéressée, j’en ai d’ailleurs fait une œuvre qui s’appelle Le Bois de la Gorgone exposée au domaine de Clisson.

Cette figure inspirante de la Gorgone est ambivalente : elle passe de monstre hybride durant l’antique à l’archétype de la femme fatale, envoûtante et dangereuse pour les hommes, à l’époque romantique. Cette créature a toujours intéressé de nombreux artistes…
Cette figure m’a toujours fascinée. D’abord, parce qu’elle plonge au cœur de récits mythologiques qui m’intéressent et créent un univers, une inspiration forte pour mon travail. Par ailleurs, la Gorgone vit dans une grotte, et les grottes me fascinent. Aussi, je crois qu’à l’adolescence, et même à d’autres moments de la vie, l’idée d’être pétrifiée m’a toujours fait peur. L’idée qu’à un moment, quand on a le goût de la contemplation, le risque, c’est de n’être que dans la contemplation, de rester immobile et de se pétrifier, de ne plus agir. Or, j’ai besoin de faire, de créer, mais toujours avec cette crainte de me figer. La Gorgone est donc une figure que j’ai toujours trouvé assez fascinante. C’est une femme qui fait peur aux guerriers, et c’est symboliquement fort.

L’univers minéral des grottes, présent dans ce mythe, se retrouve dans une série d’œuvres que vous présentez aujourd’hui dans Tromper l’œil à la galerie Continua. Comment avez-vous approché cette production artistique mêlant plusieurs médiums ?
Je trouvais qu’il était intéressant de montrer, dans cette exposition, comment naissent les bifurcations entre le dessin, la broderie mais aussi de jouer aussi sur les questions de l’illusion et du trompe-l’œil. Par exemple, j’ai choisi de faire comme un triptyque, qui part d’une petite forêt en carton, puis une version brodée, en trois dimensions de cette forêt. Mais la forêt en carton joue déjà à imiter la forêt, on ne sait plus très bien qui imite qui. Donc ça m’amusait beaucoup de travailler sur cette question du trompe l’œil, ou en tout cas, de l’illusion, et de jouer à imiter mon propre travail en utilisant un autre matériau qui singe un matériau qui, déjà mime, le réel. Ce sont ces jeux de correspondances entre les dessins, la broderie, la sculpture et ce jeu sur l’illusion qui m’ont inspirés pour cette exposition.

Imagination fertile… Comme un mythe le fait, d’où vient ce besoin d’inventer des mondes imaginaires ?
Cette question des contre-mondes et des mondes inventés vient directement du besoin d’affronter le réel. Cette notion est très présente dans l’exposition, puisqu’il y a aussi des œuvres, notamment une œuvre qui s’appelle Promontoire, un petit jardin en réduction, dans lequel on peut se promener, puisqu’il y a des marches, des échelles, un vrai petit promontoire, un labyrinthe qui reprend exactement le labyrinthe disparu du jardin de Versailles. Mon exposition évoque donc aussi des lieux réels, en plus des lieux fictifs. Cela reflète mon goût pour les caprices architecturaux, qui mêlent le vrai et le faux.
Eva Jospin – Promontoire, Exposition Tromper l’œil, GALLERIA CONTINUA, Paris, 2024. Photo: Hafid Lhachmi. © ADAGP, Paris, 2024
Eva Jospin – Promontoire, Exposition Tromper l’œil, GALLERIA CONTINUA, Paris, 2024. Photo: Hafid Lhachmi. © ADAGP, Paris, 2024
Eva Jospin – Promontoire, Exposition Tromper l’œil, GALLERIA CONTINUA, Paris, 2024. Photo: Hafid Lhachmi. © ADAGP, Paris, 2024
Eva Jospin – Promontoire, Exposition Tromper l’œil, GALLERIA CONTINUA, Paris, 2024. Photo: Hafid Lhachmi. © ADAGP, Paris, 2024




J'ai besoin de faire, de créer, mais toujours avec cette crainte de me figer.