

Ernest Pignon-Ernest
AUTOUR D'UNE ŒUVRE
L’Annonciation de Fra Angelico
À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Par Fanny Revault
Ernest Pignon-Ernest, pionnier de l’art urbain en France, connu pour ses dessins virtuoses de Rimbaud ou de Pasolini sur les murs des villes, il découvre à l’âge de 20 ans, L’Annonciation de Fra Angelico à Florence.
Ému par cette fresque épousant le mur du couvent de San Marco, il se souvient de sa lumière, sa texture, ses pigments vibrants. Une scène dont la simplicité et la grâce offrait une atmosphère paisible. Comme lui, il porte son art avec l’ambition de la transcendance, recherche la lumière qui s’incarne et le verbe qui devient lumière. Comme lui, il conçoit une œuvre pour un lieu, une peinture indissociable de l’endroit dans lequel elle s’inscrit. Étonnante et improbable proximité entre deux artistes que les siècles séparent mais que la foi dans l’art réunit. Rencontre.
Que vous inspire le thème de l’Annonciation ?
Les Annonciations me troublent profondément. Je ne suis pas croyant, mais ces œuvres ont quelque chose de très conceptuel : c’est littéralement la lumière qui s’incarne.
Quand avez-vous découvert l’Annonciation de Fra Angelico ?
Ce choc remonte à mes vingt ans. À l’époque, je suis parti en Toscane avec des amis. Nous dessinions à la craie sur les trottoirs, place Michelangelo. J’avais réalisé une grande Piéta. C’est ainsi que nous avions financé notre voyage. Et puis, je garde en mémoire ce moment à San Marco : une véritable révélation. Ce n’est pas seulement une question de peinture, l’œuvre est indissociable du lieu dans lequel on la découvre. On monte un escalier, et elle apparaît, comme suspendue au-dessus de nous. Elle a une présence, une puissance. On la reçoit presque comme une apparition. La texture du mur, les pigments, la matière picturale, tout est là, très physique, très sensible, très présent. Une lumière vient de l’est, de la gauche, et éclaire progressivement l’image. L’ange annonce à Marie qu’elle a été choisie pour une mission essentielle : donner naissance au Christ, celui qui rachètera les péchés.
Comment percevez-vous la figure de la Vierge dans cette scène ?
On lui confie là quelque chose d’immense qui va bouleverser le destin de l’humanité. Et elle l’accueille avec grâce, douceur, humilité. Elle rayonne. Son visage, je m’en souviens, m’avait profondément troublé. Une beauté grave. C’est le Verbe qui devient lumière. Il y a chez elle une humilité dans la posture. Elle et l’ange adoptent la même attitude, et pourtant on dirait qu’ils ne se tiennent pas sur le même plan. Presque comme si elle était décalée, dans la diagonale de la pièce. Ce n’est pas aussi frontal que dans d’autres Annonciations, tout est clos. Même la petite fenêtre donnant sur la chambre est barrée, comme une allusion à la virginité. L’espace qui pourrait évoquer le paradis est lui aussi fermé.
Vous avez mentionné d’autres Annonciations. Comment celle-ci se distingue-t-elle ?
J’apprécie également beaucoup l’Annonciation de Simone Martini, aux Offices. Elle est très belle, dorée, et on y voit même le texte. L’ange Gabriel semble venir de voler : on sent dans les drapés et les éléments flottants le mouvement de son arrivée. Et le geste de la Vierge est magnifique. Elle tient un livre. Chez Fra Angelico, rien de tout cela. C’est d’une sobriété totale. Dans l’Annonciation de Cortone, par exemple, on trouve davantage de détails : Adam et Ève, des éléments narratifs… Mais ici, non. Rien de tout cela. Pas de livre, pas de texte, il n’y en a pas besoin.
L’Annonciation, Fra Angelico, Musée Diocésain, Cortone
Annonciation entre les saints Ansan et Marguerite, 1333, Galerie des Offices, Florence


Quel rôle joue le contexte monastique selon vous ?
Le contexte joue un rôle fondamental : nous sommes dans un couvent, et ceux qui voient cette image connaissent parfaitement l’iconographie. Fra Angelico la développera d’ailleurs dans chaque cellule. Cela confère à cette œuvre une qualité particulière : calme, apaisée. Le petit tabouret affirme une forme d’humilité, de pauvreté. Il y a là une humanité sereine. Cette peinture a été conçue pour ce lieu précis.
Votre travail d’artiste vous relie-t-il à ce type de représentation ?
Je suis très sensible à cela. Mon propre travail s’inscrit dans cette logique de mise en scène. Il m’a conduit à lire les Exercices spirituels de Loyola, les Évangiles… Je me nourris de tout cela. Je crois à la nécessité de ces légendes. Ce qui me touche le plus, ce sont les peintres de cette époque. Et même si je suis athée, je suis heureux de travailler dans la sphère chrétienne. Ce dogme de l’Incarnation, pour un artiste, c’est un cadeau. Un véritable cadeau.
L’œuvre est indissociable du lieu dans lequel on la découvre.