

Entretien avec Nele Verhaeren, directrice d’Art Brussels 2024
Par Harry Kampianne

Il n’est pas trop de dire que Nele Verhaeren fait corps avec l’ADN d’Art Brussels. Une directrice qui a soigneusement mitonné en avril dernier les petits plats dans les grands en organisant la 40ème édition de cette foire qu’elle connaît sur le bout des ongles. Dresser son portrait ne nous oblige en aucun cas à entrer en résonance avec l’actualité. Mais écouter ses aspirations et son parcours à travers une foire plus que cinquantenaire nous aide à comprendre l’essence même d’un tel événement artistique au cœur du plat pays, à savoir une hospitalité et un engagement de la scène belge soutenue par des collectionneurs parmi les plus prestigieux d’Europe. Il est entendu que nous aurons plaisir à la retrouver lors de la prochaine édition qui devrait se dérouler du 24 au 27 avril 2025 face à l’Atomium.

Nele Verhaeren © David Plas
Quel a été votre parcours avant d’arriver aux commandes d’Art Brussels ?
Avant de commencer à Art Brussels, j’ai exercé différentes activités. J’ai donné des cours d’histoire de l’art, d’arts plastiques et de dessins scientifiques. J’ai organisé en tant que coordinatrice le projet Beaufort, une triennale d’art sur la côte belge ainsi qu’au MUZEE à Ostende. J’ai également travaillé à la Banque nationale de Belgique à Bruxelles pour faire l’inventaire de sa collection d’art contemporain. J’ai ainsi acquis de nombreuses connaissances dans des domaines très différents de la scène artistique, ce qui m’a aidé à comprendre les besoins des artistes, des curateurs, des galeries et des collectionneurs.
Votre première édition à Art Brussels remonte à 2007, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact. À l’époque, j’étais le seul membre de l’équipe à travailler à plein temps sur ce magnifique projet. Je visitais déjà régulièrement cette foire depuis que j’étais étudiante en histoire de l’art à Kuleuven. Je peux même dire que j’avais déjà un pied dedans.
Quel était votre poste à ce moment-là ?
J’ai été engagé pour convaincre les galeries de participer à cette foire. Ce fut une très belle opportunité, car elle m’a permis de visiter de nombreuses autres foires à l’étranger, de rencontrer toutes sortes de gens du monde de l’art, de visiter des expositions dans des galeries de grandes villes et de construire surtout un réseau. En plus d’attirer de bons profils de galeristes, j’ai toujours travaillé en étroite collaboration avec les directrices d’Art Brussels (ndlr : Karen Renders, Katerina Gregos et Anne Vierstraete) pour aider à positionner la foire, à raisonner, à peser sur les choix, à déterminer les budgets et à mettre en chantier l’organisation. Autant de facteurs qui entrent en jeu dans le jeu des décisions. Ce processus est un atout important dans mon poste actuel.
Quelles sont à votre avis les qualités nécessaires pour se maintenir à un tel poste ?
Je crois qu’il y a avant tout mon admiration et mon estime pour le métier de galeriste. Deux points importants qui n’ont fait que grandir au cours de ma carrière. Le métier de galeriste nécessite un engagement de tous les instants ; il faut être bien entendu passionné par l’art, avoir de l’empathie pour les artistes, leurs inquiétudes et leurs angoisses face à leurs pratiques artistiques et l’attente d’une certaine reconnaissance, ainsi qu’un bon feeling avec les collectionneurs, oser saisir les opportunités et être conscient des risques financiers, sans se disperser. Au final, il faut essayer de grandir à la même vitesse que les artistes, sinon ils quitteront la galerie pour une plus grande. Mon principal moteur est ma passion pour l’art contemporain. Mon expérience d’organisatrice m’a donné une certaine confiance dans mes décisions et mon profond respect pour le métier de galeriste a toujours été pour moi un bon guide dans le positionnement de la foire. Je crois profondément au dynamisme que véhicule Art Brussels. Il amplifie le rôle pivot des foires comme plateforme ultime pour toute la scène artistique contemporaine au cœur de l’Europe. Elle entretient des liens forts de fidélité entre les galeristes, les artistes et les collectionneurs.
À hauteur de combien Art Brussels est financée ?
Je dirais à 85 % par les galeries (locations des stands), 12 % de mécénats privés et 3 % par les visiteurs. Ils sont en moyenne 26 000 chaque année. Le plus difficile est de garder ces derniers au sein de la foire qui est située en périphérie de la ville. Une fois sortis, ils ne reviennent généralement pas, excepté les collectionneurs qui sont là durant les quatre jours. Raison pour laquelle, il est nécessaire d’améliorer et d’entretenir des activités parallèles comme les food trucks, les lounges, la restauration, les aires de repos avec une qualité toujours de haut niveau.
©David PLAS
©David PLAS
©David PLAS



Vous nous disiez que c’était la 40ème édition et non le 40ème anniversaire de la foire. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
En 2018, nous avons fêté le 50ème anniversaire d’Art Brussels qui a été lancé en 1968. Mais au début, c’était une biennale. Ce n’est qu’en 1997 que c’est devenu annuel d’où la célébration de la 40ème édition en avril dernier que nous avons immortalisé à travers une section qui s’appelle Memory Lane. Nous avions demandé aux principaux intervenants (organisateurs, galeries, artistes, collectionneurs, journalistes) de contribuer grâce à des illustrations et des photos d’archives d’alimenter en images ce long couloir mémoriel en forme de promenade. Pour moi, c’était une façon de dire que cette foire appartient à nous tous, et non à une petite équipe.
Y a-t-il un seul comité de sélection pour toutes les galeries ?
Non. Il y en a deux. Un pour la section Discovery qui regroupe les découvertes de jeunes galeries et un autre pour tout le reste, dont bien sûr les galeries étrangères. Pour la section Invited, il y a une zone très grise. On ne peut pas dire que ce soit vraiment une sélection. Ce sont plutôt des profils de galeries que l’on invite au cas par cas parce qu’ils sortent du lot ou qu’ils possèdent des parcours complètement atypiques. Nous recevons en moyenne 400 dossiers pour chaque édition. La sélection dure trois jours. L’équipe organisatrice ne participe pas aux sélections et par conséquent ne vote pas, mais elle peut bien entendu manifester ses coups de cœur. Les comités de sélection sont complètement indépendants et libres de leurs choix. Ils sont principalement constitués de galeristes, d’historiens d’arts, de curateurs, de critiques, c’est variable. Il y a bien sûr une liste de galeries fidèles dont on connaît la valeur et qui sont déjà présélectionnées. Mais pour les nouvelles, c’est là que le débat commence. Il arrive parfois qu’une galerie ne soit pas reprise, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle ait perdu de sa valeur. Il peut s’agir simplement du choix des artistes ou des œuvres proposés. Il arrive aussi qu’elle ne se renouvelle pas…
Je suppose qu’il y a une grande part émotionnelle qui rentre en ligne de compte lorsque vous devez annoncer un refus.
Oui. Et malgré mes années d’expérience, ça me touche profondément et je ne suis pas zen du tout lorsque je dois l’annoncer, c’est toujours pour moi une étape difficile. Un galeriste défend tous les jours ses artistes, et devant un refus, il peut se poser mille questions, à savoir si son stand était moche l’année précédente, si un de ses artistes n’a pas été apprécié, est-ce que son profil n’était pas assez international, etc… Il faut passer outre les liens d’amitié que l’on peut tisser avec la plupart d’entre elles. Je dois vous avouer que le fait de ne pas participer au vote m’arrange. C’est une façon de me protéger. Et puis, il y a le problème que les membres des comités de sélection ne dévoilent pas toujours les raisons de leurs refus… ou alors vaguement. Ce qui rajoute à la difficulté lorsque l’on essaie d’expliquer aux galeries quels sont les motifs du refus. En général, je les contacte par téléphone et non par lettre. C’est très délicat et pas agréable.
Il est beaucoup question de progresser en matière de respect des minorités et de parité dans le monde artistique. Où en est Art Brussels dans ce domaine ?
Nous y sommes sensibles bien entendu. Les femmes sont représentées à hauteur de 36 % dans la foire et nous avons développé un programme qui s’appelle gender diversity and inclusivity où les minorités trouvent également leur place. Nous devons bien sûr être vigilants notamment en matière de sélection. Les tendances changent au gré des années, mais cela ne doit en aucun cas influer sur les votes. Il faut garder à la fois un esprit ouvert et en même temps critique.
Cela ressemble fort à un jeu d’équilibriste…
Vous avez raison. Lors des sélections, nous intégrons dans un fichier Excel une colonne femme et une colonne homme. Nous ne sommes pas là pour leur dire, il faut trois femmes en plus ou en moins, ce n’est pas notre rôle. Toutefois, il est possible de leur faire prendre conscience qu’il peut y avoir un déséquilibre et qu’il est bon de réajuster la balance, sans pour autant entrer dans le carcan d’une parité absolue à 50/50. C’est le même principe avec la sélection des galeries étrangères. Nous conservons notre quota de 33 à 35% de galeries locales et reste est réparti entre les autres pays. C’est un équilibre, qui peut toujours être amélioré, mais qui fonctionne pour l’instant très bien.
©David PLAS
©David PLAS
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