Image de Dans les coulisses d’un rêve : les photographies d’Etienne Revault
Image de Dans les coulisses d’un rêve : les photographies d’Etienne Revault

Dans les coulisses d’un rêve : les photographies d’Etienne Revault

Par Olivier Schefer

On entraperçoit dans les images d’Étienne Revault l’énigme de corps évanouis et l’aura d’une présence. Il y a quelque chose d’une beauté mélancolique dans les pages qui suivent, de cette mélancolie dont Victor Hugo note qu’elle est le « bonheur d’être triste ». Plus que le plaisir fugace de l’instant, la mélancolie est la joie profonde, car indissociable du temps écoulé, que suscite en nous l’apparition de bancs moussus, de sculptures fantomatiques enveloppées de housses, de ces châteaux perdus dans les forêts, évoqués par Nerval dans Sylvie. Tout se passe comme si la photographie suivait ici une double vocation, faire mémoire de lieux et d’architectures souvent anciens et patrimoniaux, et guetter en eux l’indice d’une disparition. Le photographe capture des constructions (maisons, châteaux, usines, fortifications), il les rebâtit presque à l’aide de perspectives et de plans géométriques précis, mais son œil rêveur se perd dans un sous-bois, s’attarde sur le dos d’une sculpture de nymphe solitaire, et l’image se dissipe quelquefois dans une nuit incertaine.

Depuis ses premiers pas, Étienne Revault, par nécessité et amour des lieux, s’attache à raconter le patrimoine, à en célébrer les principales réalisations. Il découvre le médium photographique, jeune homme, en assistant son père, Jacques Revault, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des monuments du monde arabe. Le jeune Étienne Revault assiste tout d’abord son père à Tunis puis il se rend en France où il travaille pour différents photographes, à Aix-en-Provence et surtout à Marseille. Il se souvient des équipées au cours desquelles il partait photographier de nuit un paquebot à l’aide d’ampoules flash, reliées par un fil, en une seule prise, sur plaque gélatine. Plus tard, vers 1967-1969, il se rend au Caire, pour trois ans, engagé par l’Institut Français d’Archéologie Orientale : d’architectures et de mémoire, il est encore question, car le voici aux services d’un archéologue qui sollicite ses compétences pour photographier des fouilles et des temples. Si le présent volume ne propose pas de clichés sur l’Égypte, le regard d’Étienne Revault reste profondément marqué par la couleur blanche du pays et ces visages qui, dit-il, ont la beauté d’anciens pharaons et de légendes bibliques. Son parcours le mène par la suite en France où il travaille pour la RMN, photographiant des peintures classiques. Une partie de sa carrière se dessine ensuite, lorsqu’il devient le photographe attitré de la revue Monuments historiques. Toujours voyageant, exerçant son œil, il sillonne la France, se rend un peu partout en Europe et au Canada. Il fixe les monuments consacrés et classés du patrimoine.

Durant cette longue période de commandes, de 1974 à 1996, il réalise des photos personnelles dont le présent volume témoigne, comme cette série sur les escaliers et les sculptures allégoriques d’anges accompagnant des mausolées, suivant la tradition iconographique des cimetières du XIXe siècle.

La principale qualité du photographe, dit Étienne Revault, c’est la disponibilité. Non pas la propension à capturer un instant pris au vol, le fameux « instant décisif » d’Henri Cartier-Bresson. Il ne s’agit pas non plus de restituer le « ça-a-été » en quoi Roland Barthes reconnaît dans La Chambre claire la spécificité du geste photographique, art proustien du souvenir, entrecroisant l’être et le néant, la disparition et le moment présent. La disponibilité est une manière très libre de se laisser surprendre pour accueillir, dans un contexte et un cadre donné, imposé, autre chose.

Les photographies en noir et blanc de ce volume font mémoire de cette autre chose, en prenant un malin plaisir à détourner leur sujet, à se glisser dans les coulisses, là où l’on rêve plus aisément que sur une scène trop éclairée. II y a beaucoup d’escaliers dans ces pages, lieux ordinaires mais intrigants par excellence, si l’on y songe, les escaliers ont valeur de passages et de seuils. Monter ou descendre des marches, c’est toujours pénétrer de manière initiatique dans un monde nouveau, un autre temps ; c’est avancer au cœur de l’image. Les escaliers d’Étienne Revault sont d’abord des vortex, des puits en spirale, ils semblent par moments imiter le contour de l’œil du photographe devant son objectif. Je vois çà et là des escaliers de pierre mêlés à la végétation, au détour d’un village et d’un cimetière. Ils sont vides, notre regard les occupe et les franchit indéfiniment. La qualité de ces photographies, nettes et éthérées, solides et friables comme du temps stratifié, est aussi celle de certaines peintures avec lesquelles elles partagent une atmosphère onirique. On ne se demande plus qui de la peinture, du dessin et du cliché imite l’autre. Les architectures sont vues de biais, derrière une barrière, par-dessus un plan d’eau qui met un rêve dans l’image ; je m’attends à tout moment à voir surgir un personnage d’Antoine Watteau, une de ses femmes égarées dans un jardin, dont on ne sait si elle est sculptée ou réelle. Peut-être les deux à la fois.

Même lorsqu’elles célèbrent un bâtiment, les photos d’Étienne Revault lui confèrent la troublante beauté d’une ruine, la mélancolie de monuments hantés. La poétique des ruines que Diderot érige en précepte esthétique vibre partout dans ces pages : plusieurs clichés d’églises abandonnées et de cimetières évoquent telle toile d’Hubert-Robert ou du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich. Des sites industriels oubliés, à la beauté crue et austère, dialoguent étonnamment avec la rigueur d’abbayes et de porches d’églises. Rien de sinistre dans les ruines, elles entremêlent l’art et la nature, la mousse et le granit, la colonne et l’arbre. Elles jettent des ponts entre les mondes et esquissent les contours d’un théâtre imaginaire. À chacun de s’y faufiler et de retrouver la saison de son enfance.


MÉMOIRE DES LIEUX éditée aux Éditions du Bois d’Orme.
Format 21 x 21 cm
100 pages
80 photographies d’Etienne Revault
Achat sur demande par mail :
Ou via le site web etiennerevault.com
Instagram

20 €

Je sortais d'un théâtre où tous les soirs je paraissais aux avant-scènes en grand tenue de soupirant. Quelqufois tout était plein, quelquefois tout était vide.

Gérard de Nerval, Sylvie.