

Daniel Templon
AUTOUR D'UNE ŒUVRE
Alt-Neu-Shul sur le Pont-Neuf de Gérard Garouste
À la rencontre d’une personnalité du monde de l’art et de la culture, nous avons posé une question simple :
quelle œuvre vous a marqué et compte dans votre vie et votre parcours ?
Retour sur la fascination, l’émerveillement, le trouble ou le choc suscités par une œuvre d’art…

Par Fanny Revault
Une samaritaine près du puits de Jacob et le Christ venant à sa rencontre à laquelle il demande à boire et promet l’eau vive de la vie éternelle, révélant sa qualité de Messie. « Alt-Neu-Shul sur le Pont-Neuf », de Gerard Garouste : une toile illustrant une scène de l’Ancien testament où le Christ rencontre la samaritaine près du puits de Jacob, à laquelle il demande à boire et promet l’eau vive de la vie éternelle, révélant sa qualité de Messie. Daniel Templon, grand marchand d’art, fut immédiatement attiré par cette œuvre. illustrant cette scène de l’Ancien testament. Troublé par la force des couleurs bleu et orange, la composition diagonale où s’animent des silhouettes échevelées en un oxymore d’agitation et de quiétude, Daniel Templon place cette toile au rang des chefs d’œuvre. La pensée artistique du peintre se nourrit de l’étude de la Bible, du Talmud, de la philosophie et de l’œuvre de Kafka, un dialogue permanent entre l’ancien et le présent, un Alt-Neu-Kunst. Cette œuvre s’établit définitivement dans cette dualité. Daniel Templon revient avec fascination sur cette peinture virtuose contemporaine qu’il inscrit dans la lignée de la grande peinture classique. Rencontre.
De quelle œuvre souhaitez-vous nous parler ?
J’ai choisi de vous parler de l’œuvre d’un artiste que je connais depuis cinquante ans, et avec lequel je travaille depuis un peu plus de vingt ans maintenant. Il s’agit de Gérard Garouste. Son œuvre, sur cinquante ans de peinture, a toujours été considérée par beaucoup comme totalement marginale, totalement déconnectée de l’époque, du temps, des modes. Mais je crois que les grandes œuvres sont toujours marginales. Le tableau que j’ai choisi, La Samaritaine ou le Pont-Neuf, est important à tous points de vue : par sa beauté, sa séduction, sa sensualité, le rapport des couleurs entre ce bleu et cet orange. C’est un tableau qui fascine.
En quoi cette peinture est-elle représentative de la pensée de Garouste ?
Il y a eu une exposition de Gérard Garouste, ici à la galerie, autour du rapport entre le travail son travail et celui de Kafka. Et il y avait ce tableau que l’on pourrait considérer comme un de ses chefs-d’œuvre : La Samaritaine ou le Pont-Neuf. Ce tableau est un peu comme une somme de la pensée de Garouste. Il puise depuis une vingtaine d’années son inspiration dans la Bible. C’est une façon de raconter une rencontre entre Jésus et la Samaritaine. Un drôle de sujet en 2021 ou 2022… mais résultat : c’est un chef-d’œuvre. Le Pont-Neuf, c’est le Pont-Neuf réel, sans doute le plus vieux pont de Paris.
Que raconte cette scène ?
Au milieu, il y a une synagogue, dont on se demande la raison de la présence. C’est en fait la reprise visuelle de la synagogue la plus ancienne et importante de Prague. À l’époque d’Henri IV, au moment de la construction du pont, il y avait là une pompe à eau qui alimentait le Louvre. Et sur ce bâtiment, il y avait l’illustration de cette scène de la Samaritaine avec Jésus. C’est pour ça que ce lieu s’appelait la Samaritaine.
L’histoire dit que Jésus, au cours de ses pérégrinations, s’arrêta devant un puits et demanda à une femme : « Donne-moi de l’eau. » Et la femme lui répondit : « Mais je suis une Samaritaine ». Donc cette femme était issus d’une communauté ou d’une secte perçue comme ennemie ou, en tout cas, pas amie. Ils ne se faisaient pas la guerre, mais ils ne s’entendaient pas. Et Jésus lui répond : « Tu ne sais pas qui je suis, mais si tu savais, et si tu m’avais demandé de l’eau, je t’en aurais donné bien volontiers. » On comprend ce que ça veut dire.

Quelle force se manifeste dans cette scène ?
C’est une scène de séduction totale, entre ce personnage féminin et ce personnage masculin qui se précipite vers elle. Elle semble à la fois un peu effrayée et en même temps séduite. Elle doit s’imaginer que c’est un personnage important.
Cette scène de séduction est tout à fait étonnante entre deux personnages en conflit, mais c’est en même temps un homme et une femme, donc ils vont au-delà des conflits. On ne peut pas parler politique à ce niveau-là, mais ça dit quelque chose des relations humaines. Et le puits, au milieu, est un symbole phallique, de toute façon. Donc au-delà des apparences, il y a un érotisme profond.
Quelle est la place de cette œuvre dans la peinture contemporaine ?
J’ai rarement vu, dans l’art contemporain, des tableaux – même si je pourrais en citer d’autres – qui atteignent un tel degré de perfection au niveau de la séduction et de la sensualité. Il y a même un côté un peu fantastique. Ce personnage, c’est comme s’il faisait partie intégrante du pont, de son architecture. Je ne connais pas d’autres œuvres avec une telle intensité.
La synagogue de Prague s’appelle Vieille-Nouvelle, ce qui signifie vieux et jeune en même temps. Garouste nous dit, à travers ces deux mots, que la peinture, c’est à la fois halte et élan, passé et présent. Il n’y a pas de peinture qui ne sorte de nulle part, il n’y a pas de peinture qui ne soit pas inscrite dans la descendance d’une histoire.
En somme, que représente pour vous cette peinture ?
La Samaritaine sur le Pont-Neuf est, pour moi, tellement représentatif de ce qu’est la peinture — ou de ce que la peinture devrait être aujourd’hui : le présent, mais sur des bases du passé.
J’ai rarement vu, dans l’art contemporain, des tableaux qui atteignent un tel degré de perfection au niveau de la séduction et de la sensualité.