

Comprendre les NFT avec Benoit Couty
Par Fanny Revault
Nous assistons depuis quelques années à un engouement pour les NFT dans le marché de l’art mais rares sont ceux qui comprennent vraiment ce qu’est un NFT (Non-Fungible Token). Si ces images numériques uniques ont amené un bon nombre d’artistes à créer différemment, en marge des institutions et galeries, elles ont aussi attiré la curiosité d’investisseurs qui y ont vu une opportunité d’investissement.
Comment fonctionnent les NFT ? Quelles sont les dérives et les avantages pour les artistes ? Comment cet univers virtuel se positionne-t-il dans le milieu de l’art traditionnel ? Rencontre avec Benoit Couty, co-fondateur du MoCA, premier musée européen de Crypto-Art.
Qu’est-ce qu’un NFT ?
C’est compliqué de définir les NFT, il y a probablement plusieurs définitions. La plus simple, je pense, c’est de dire que le NFT est un certificat de propriété qui est lié à un fichier numérique. N’importe quel type de fichier numérique, ça peut être un JPEG, un MP4, un GIF, ou même un MP3.
À partir du moment où on a un fichier numérique, on peut l’associer à un NFT, qui devient le certificat de propriété de ce fichier qui, par une technologie spéciale, fait qu’on ne peut pas séparer les deux, et on a la preuve que le fichier est bien lié à ce NFT, et donc devient un certificat de propriété de ce fichier.
Quand et comment les NFT ont-ils émergés ?
Les premiers NFT arrivent en 2018. Mais en 2018, ce n’était pas du tout le monde de l’art traditionnel, ce n’était pas du tout même l’art numérique. C’était un petit groupe d’artistes plutôt geeks intéressés à l’art numérique qui se sont emparés de cette technologie et qui ont été les premiers, donc, à créer des œuvres numériques. Il s’agissait principalement d’artistes inconnus. Et les artistes d’art numérique connus sont entrés ensuite dans cet écosystème, dans cette technologie, plus tard, en 2020-2021, parce qu’ils ont vu que ça prenait de l’essor.
Comment avez-vous découvert les NFT et pourquoi avoir voulu devenir collectionneur ?
J’ai découvert la NFT en découvrant le métavers et en découvrant qu’on pouvait acheter des terrains et construire sur des terrains dans des mondes virtuels qu’on appelle métavers, qui à l’époque, n’étaient pas du tout connus. C’était en 2018. J’ai été surpris de voir que beaucoup de terrains de ce métavers étaient occupés par des artistes qui montraient leurs œuvres numériques.
Depuis que je suis très jeune, je suis fasciné par ces créations dans le numérique, qui pour moi était très rafraîchissantes, très différentes de ce qu’on pouvait voir dans les galeries d’art, très différentes même de ce qu’on appelle l’art numérique. J’ai donc commencé à collectionner, à acheter des œuvres.
J’ai eu une période de quelques semaines pendant lesquelles je me suis dit que j’allais acheter un JPEG, qu’il n’était pas évident d’en payer un alors que je peux l’avoir gratuitement. J’ai donc eu du mal à comprendre au début. Et encore aujourd’hui, les gens qui achètent pour la première fois un NFT ne comprennent pas, moi, ça m’a pris quelques semaines, puis j’ai compris que ça avait vraiment de la valeur. C’est-à-dire que quand vous achetez une œuvre NFT, vous avez vraiment une œuvre.
Pour me convaincre, les artistes que j’ai rencontrés m’ont donné des NFT, parce qu’au début, je ne voyais pas l’intérêt d’en acheter. Et quand j’ai commencé à voir que les œuvres qu’on me donnait, d’autres personnes voulaient me les acheter, j’ai compris que c’était vraiment un certificat de propriété reconnu, et j’ai commencé à collectionner.
Vous avez co-fondé le premier musée NFT : le MoCA. Pourquoi cette aventure ?
J’ai rencontré ces artistes, j’ai commencé à les collectionner et je me suis dit que j’avais un terrain dans ce métavers, et que je pouvais alors y construire quelque chose, et comme je suis passionné par ce qui se passe en ce moment, j’ai compris qu’il y avait là quelque chose de révolutionnaire.
Je voulais faire partie de cette révolution, et j’ai décidé de construire un bâtiment pour montrer des œuvres, des artistes, pour les mettre ensemble, et j’ai appelé ça le Museum of Crypto Art, puisqu’on est dans un environnement international. J’ai appelé ça le MoCA, le Museum of Crypto Art. Ce musée est donc né dans un métavers fin 2018, j’ai commencé vraiment à faire des expositions début 2019 et j’y ai exposé des œuvres que je collectionnais.
Quels sont les avantages des NFT pour les artistes ?
C’est vraiment une révolution pour les artistes, et notamment les artistes numériques. L’art numérique existe depuis très longtemps, il existe depuis que les ordinateurs existent, donc depuis les années 50-60. Mais les fichiers numériques sont impossibles à vendre, parce qu’un fichier peut se diffuser, il peut se copier. Ce dilemme a fait que la plupart des artistes d’art numérique se sont orientés sur une autre façon, finalement, de vendre leur art, comme l’expérience ou l’installation. Dans ces cas-là, c’est l’institution qui achète l’œuvre à l’artiste, et les « consommateurs » payent pour voir.
Les NFT ont changé tout ça puisque l’artiste peut créer une œuvre et la vendre lui-même directement à l’utilisateur, au consommateur. Le collectionneur, donc, achète des œuvres, il ne paye pas simplement un ticket pour aller les voir. Cette différence est de taille.
Avec les NFT, il n’y a plus d’instance de légitimation, comme les musées, les critiques d’art, les galeristes…
C’est un avantage et un inconvénient, c’est d’ailleurs un grand débat dans les NFT et l’art numérique, où beaucoup considèrent qu’effectivement, on peut se passer de la médiation, on peut se passer de la curation, la curation devient quelque chose d’accessible à tous, tout le monde peut créer son musée. Je pense que les curateurs ont tous leurs intérêts y compris dans les NFT, et qu’il doit y avoir un lien entre les artistes et les curateurs, mais c’est une négociation différente, qui redonne du pouvoir aux artistes.
Quels sont les risques ou dérives des NFT ?
Le risque, c’est que des acteurs malhonnêtes s’emparent de cette technologie pour vendre des choses qui ne sont pas forcément de bonne qualité, des tromperies, des faux… Mais ça a toujours existé, y compris en dehors des NFT. Le côté négatif, c’est qu’il est bien plus facile d’acheter et de vendre les NFT comparé à une œuvre physique, en acheter prend un quart de seconde, il suffit de cliquer sur un bouton, et vous pouvez le revendre une minute après. Cette facilité de transaction a attiré beaucoup de spéculateurs, traders, des gens qui n’achètent que pour revendre à court terme.
Il y a donc beaucoup de gens qui ont été attirés par ces NFT, non pas pour la dimension artistique, la création, mais pour la facilité de transaction, ce qu’on appelle les « flippers », ce sont des gens qui n’achètent que pour revendre, parfois le lendemain ou une heure après. Ces comportements polluent un peu l’écosystème, ça attire la spéculation.
Milieu de l’art traditionnel et NFT : deux mondes distincts ?
Aujourd’hui, le fait est que ces deux espaces sont très séparés, très cloisonnés. Il y a des artistes qui ont de très grosses cotes dans les NFT et qui sont inconnus des collectionneurs d’art numérique ou d’art traditionnel, qui ne connaissent pas, par exemple Xcopy, l’artiste qui a probablement la plus grosse cote, qui vend ses œuvres, des GIF à plusieurs millions de dollars. Elles n’intéressent que les collectionneurs de NFT, puisque ce sont des esthétiques très différentes. L’esthétique de Xcopy plaît à certaines personnes du milieu numérique, geek, mais elle ne plaît pas forcément aux collectionneurs d’art traditionnel, mais surtout parce qu’ils ne connaissent pas. Ces deux mondes ne se connaissent pas vraiment.
Beaucoup de collectionneurs NFT sont anonymes, parce qu’il y a un culte de l’anonymat dans ce domaine : l’origine philosophique et idéologique des cryptomonnaies, c’est la «privacy», le respect de la vie privée. Il y a donc beaucoup d’artistes et de collectionneurs anonymes.
Comment envisage-t-on l’avenir de cette nouvelle forme d’art ?
Je pense d’une part que les NFT sont vraiment le support idéal pour tout ce qui est art numérique, et je pense d’autre part que l’art numérique, de façon évidente, a un futur brillant : on vit de plus en plus dans un univers digital, numérique, il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas apprécier des œuvres numériques. C’est donc pour moi c’est une évolution naturelle, bien que beaucoup regrettent le côté immatériel de ces œuvres. Ce besoin matériel est pour moi tout à fait incompréhensible, puisque le côté physique d’une œuvre n’est jamais apprécié. La Joconde, par exemple : personne n’a jamais pris dans les mains, on ne la touche pas, on ne la caresse pas, on la voit de loin et pourtant, tout le monde la connaît, tout le monde l’aime. La Joconde n’est qu’une image, une peinture, c’est virtuel.
Il y a énormément d’œuvres que j’apprécie, qui sont des peintures que je n’ai jamais vu en vrai. On n’a pas besoin du support physique pour apprécier l’œuvre d’art. Il n’est donc anormal, selon moi, de dire que le NFT n’est pas de l’art puisque que l’art est intangible.
Museum of Crypto Art :
https://www.voxels.com/play?coords=E@146W,126N